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7 juin 2013 5 07 /06 /juin /2013 11:39

 

Avant-D-aller-Dormir.jpgTricky-False-idols.jpg

 

Note de concordance : 7,5/10

 

 

Je souhaiterais porter plainte. J'ai été kidnappé. Happé. Assommé. Pieds et sens liés par une association de malfaiteurs anglais. Un livre et un disque sur un coup fumant, conspirant pour vous arracher au sommeil. Méfiez-vous de ce duo !

 

Le cerveau se nomme Watson. Premier coup à son actif, mais quel coup ! Il attire les lecteurs dans ses filets avec un pitch digne du box-office américain. Une jeune femme se réveille dans le lit d'un inconnu d'un certain âge, se dirige silencieusement vers la salle de bain, et constate avec effroi qu'elle n'a plus la vingtaine mais plutôt 50 ans ! L'homme la rejoint, la rassure, lui explique qu'il est son mari et qu'elle souffre d'une forme rare d'amnésie : suite à un accident, le cerveau de Christine ne stocke plus de nouveaux souvenirs. Depuis presque trente ans, le sommeil anéantit sa mémoire récente. Chaque nuit sa disquette est formatée, chaque jour elle doit réapprendre son histoire. Ainsi commencent les trois premières pages d' "Avant d'aller dormir".

 

sj-watson.jpg 

 

L'exécutant, un vieux de la vieille ! C'est sa dixième affaire. Tricky est un des trois principaux braqueurs qui ont monté le coup du trip-hop, avec ses collègues de Massive Attack et Portishead. Les coupures de presse racontent toutes que "False Idols" est une sorte de suite du chef d'oeuvre de 1995 "Maxinquaye", un retour aux sources, et semblent couler dans le béton tout ce qui s'est passé au milieu comme si c'était négligeable. Résumé facile ! L'oeuvre au noir de Tricky est belle et complexe ; comme les cadavres, on ne s'en débarrasse pas comme ça, elle réapparaît toujours.

 

tricky.jpg 

 

Il est pourtant vrai que "False Idols", édité sur le propre label de l'artiste, aligne une cohérence et une constance dans la justesse que les tout derniers albums n'assuraient pas. Minimales, intimistes, envoûtantes, les quinze chansons renvoient une lumière noire obsédante. L'intensité ne baisse jamais. Les mélodies, comme toujours susurrées par Tricky et chantées par des invitées à la voix soul, sont épurées, cristallines, et contrairement à ce que subit l'héroïne du roman, elles se gravent tranquillement dans la tête. Basses pesantes, groove neurasthénique, l'electro de Tricky va à l'essentiel. Pas besoin de fioritures quand la base est impeccable. Juste une production au cordeau, moderne et homogène. Le disque est une étourdissante ritournelle en quinze mouvements distincts.

 

En + du fait de la tension qui traverse les compositions, cette homogénéité habille à merveille ce récit qui se répète. Tous les matins, Christine se réveille pour vivre approximativement la même journée, avec de sensibles variations. On déplore aussi le calvaire patient de Ben, son mari, obligé d'expliquer à sa femme pour la millième fois où elle se trouve, quel âge elle a, comment ils se sont rencontrés et pourquoi son téléphone n'a plus besoin de fil.

 

Grâce à une construction d'orfèvre presque aussi fulgurante que le parfait "Memento" de Christopher Nolan, S.J. Watson va faire dérailler cette insoutenable routine avec une idée simple : l'introduction d'un journal intime, véritable mémoire délocalisée de l'héroïne qu'elle alimente jour après jour sur les conseils d'un docteur, au point de reconstituer certains événements, déloger des vérités, et déceler d'inquiétantes incohérences dans ce qu'on lui raconte - et les menteurs, mon cher Watson, on ignore combien il y en a. L'auteur nous enferme dans sa construction labyrinthique aussi ingénieuse qu'addictive. Ce qui pourrait être un quasi huis clos va éclater à coup de rebondissements excitants.

 

Je vais moi-même rebondir (sans trop espérer vous exciter pour autant !) sur le fait que Tricky a réalisé son album enfermé chez lui. Il reconnaît bien volontiers que la sociabilité n'est pas son fort et croiser des stars dans les studios d'enregistrement, se sentir obligé de faire la causette à ces fausses idoles, ça ne l'intéresse pas. Cela donne cette ambiance claustrophobe au disque, qui enserre Christine et sa course aux souvenirs écrits. La vie de cette amnésique est une suite de parenthèses de + en + pleines. Inévitablement, les jets de guitares menaçants de "Parenthesis", splendides et anxiogènes, font monter la pression d'un cran à chaque écoute et collent au propos.

 

Les arrangements épurés de Tricky accordent une place de choix à chaque ligne mélodique, à chaque boucle, chaque percussion. Pas de background brouillon. Les notes sont sélectionnées, égrainées, triées sur le volet. Cette sensation de dénuement sublime laisse un passage aux silences, aux respirations, au vide (la belle reprise de Van Morrison "Somebody's sins" creuse les cavités les + profondes). Parfaite représentation du cerveau ébréché de cette femme à la recherche de son passé - et de son présent. "False idols" est comme une histoire à laquelle manquent des cases qu'on a besoin de combler, d'où notre oreille à l'affût. Quant aux pièces de puzzle de Christine, elles s'autodétruisent la nuit tombée. 

 

La tension du roman, ce tiraillement entre un passé et un présent qui se rejoignent dans les notes d'un journal intime griffonnées dans l'urgence de l'éveil, est chevillée par le riff psychopathe de "Does it", les beats implacables de "Hey love" ou les cordes vénéneuses de "Nothing Matters" que la géniale Nneka illumine de sa rage désenchantée.

L'intimité de Christine, ses questionnements et son courage face à ce cauchemar sisyphéen trouvent des échos dans les titres les + sensibles du disque, la touchante et fort à-propos "If only I knew" ou le sample magique de Chet Baker d'où se déroulent les volutes "Valentine".

 

Alors oui, l'association de ces deux oeuvres denses nous détournent de la réalité. C'est un rapt dans un monde ouateux et intriguant, une passionnante plongée dans les souvenirs effilochés et la reconstitution de soi. Leur rencontre a trouvé du sens jusqu'à la dernière page. "False idols" évoque les célébrités qui ne méritent ni leur statuts ni leur statues, et qui auraient dû rester anonymes, tandis qu' "Avant d'aller dormir" parle d'une femme qui n'est personne et qui veut juste devenir quelqu'un. 

 

La mémoire courte ou victime du syndrome de Stockholm... finalement je retire ma plainte.

 

Quitte à subir ce rapt, lancez-vous vite avant que l'adaptation hollywoodienne  en 2014 avec Nicole Kidman et Colin Firth ne vienne déflorer l'intrigue et lâcher ses bandes annonces qui racontent les 8/10èmes du film.

 

Before_I_Go_To_Sleep.jpg

 

 

 

Et pour finir, un aperçu global de l'album en un seul clic. 

       

 

 

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24 mai 2012 4 24 /05 /mai /2012 15:39

 

Note de concordance : 9/10

 

de loin mouchesblundetto

 

Mucho calor ! De la sueur et des volutes de cigare... Voici la sauterie ardente entre un roman argentin efficace en diable et un disque aux notes braiseuses - presque autant que le pathétique Señor Machi, nouveau riche bling-bling bang-bang. L'album et le bouquin se livrent à un 69 éblouissant sous une nuit latine.

 

Voilà donc notre arriviste argentin qui a su profiter de la crise économique de 2001 pour écraser son succès comme un mégot de cigare sur le crâne des pauvres gens. Señor Machi pue l'argent sale et l'arrogance, et il aime cette odeur. Après une bonne gâterie de sa dernière maîtresse, un rail de coke sniffé à une vitesse de loco, il file dans sa BM au cuir neuf et doux "comme un jeune cul".

A peine le temps de se lamenter sur son encombrante épouse ou ses mauviettes de gamins qu'un pneu crevé l'arrête, lui, le señor Machi en personne, sur le bas-côté. Inadmissible coup du sort qui va pourtant lui permettre de découvrir dans son coffre... un cadavre !

Double enjeu : comprendre qui cherche à le piéger et se débarrasser du corps. Point de départ simple pour "De loin on dirait des mouches", et une intrigue concentrée comme un shot de Fernet ! Kike Ferrari, traduit pour la première fois en français pour les éditions Moisson Rouge, écrit comme on flingue : il tire vite, vise juste, et souffle sur la fumée histoire de se marrer un peu.

 

kike

 

Avec son personnage putassier dont l'entreprise est réglée comme une Rolex, condamné à se dépatouiller seul de son pétrin extraordinaire, on peut penser à un épisode de "La quatrième dimension", mais qui ne franchirait pas les lignes du fantastique, qui resterait les pieds embourbés dans le sol du polar, tout de noir et de feu. Lors de flashbacks taillés à la hache - autant de chapitres qui claquent comme des coups de tête - l'entrepreneur sans scrupules fait le point sur ses potentiels ennemis ; et il trouve matière à paniquer !

 

Il fallait une musique chaloupée pour résister au soleil sud-américain, avec des élans cuivrés comme les affectionne Tarantino. Après un premier album, "Bad bad things", aux accents cubains prononcés, le parisien Blundetto - programmateur de Radio Nova - a sorti du four sa deuxième galette, "Warm my soul", une parfaite recette de boucles latines, de reggae et de jazz éthiopien, pimentée de soul et de hip-hop. Tout ce qui brûle !

Eclectique et miraculeusement cohérent, le travail de Blundetto, nourri aux featurings passionnants, a comme fin la curiosité - joli défaut transmis par le mythique créateur de Nova Jean-François Bizot. A la fois spéléologue explorant les failles du reggae et astrologue lisant l'avenir de l'electro dans l'amarre des cafés latinos, Max Guiguet (de son vrai nom) transforme tout ce qu'il mixe en or.

 

blund2

 

Avec le groove comme ADN et les reliefs funk comme colline vertébrale, l'album dégage un parfum de suspense, une aura cinématographique qui vient peser sur le señor Machi. Les titres les + sensuels laissent pénétrer d'humides alternances soul ou dub dans les scènes les + chaudes du livre. Car oui, "De loin on dirait des mouches" parle d'argent, de violence et de cul. Tout ce qui brûle...

 

En passant en revue les relations de Machi basées sur la force, avec son bras droit, Le Cloaque (lui-même pris dans une chaîne d'humiliation l'amenant à ridiculiser un môme arborant le Che - irrésistible !), son fils homo, ses employés surexploités, une maquerelle issue de la télé-réalité, les politiciens véreux, les amis mafieux, ou n'importe quel commerçant qui se doit de lui cirer les pompes, l'auteur fait le portrait à peine caricaturé d'un odieux patron ivre de pouvoir mouillé jusqu'aux moustaches, qui plonge ses fesses dans des costumes Armani mais trempe son nez farineux dans les affaires scabreuses.

Derrière les mésaventures risibles de cet affreux self-made mégalomane, pour qui ses congénères comptent autant que les mouches évoquées dans le titre, ce que dénonce Ferrari, tueur à gags satiriques, c'est évidemment toute la maladie de la corruption, la gangrène où les gangs règnent moins que l'argent-roi qui étouffe la société argentine.

 

Quoi de mieux qu'un bon polar rigolard comme vitrine pour mieux pointer du doigt les dysfonctionnements du capitalisme ? Quoi de mieux qu'une parfaite Bande Originale de Livre pour s'imprégner d'une telle lecture ? "Warm my soul" joue son rôle avec excellence. Menées par les riffs funky, les reflets blaxploitation mid-tempo de "Since you've been gone", "Final good bye", ou encore la reprise d'Aaron Neville "Hercules" pourraient passer sur l'autoradio de la BM si seulement son conducteur avait bon goût. "Crowded places" et ses trompettes piquantes font monter la paranoïa du señor Machi, et "Walk away now" va jusqu'à emprunter les sonorités fashion de la B.O. de "Drive" et offre une rutilante calandre à l'intrigue. 

Les rythmes de l'album ne perdent jamais de vue le cool, tout comme ce roman qui a beau filer le long de courts chapitres, prend le temps de s'amuser.

 

Et si vous n'êtes pas encore incités à lire cet excitant bouquin tout en écoutant un disque magnifique qui semble composé pour lui, voici un dernier exemple d'affiliation : Blundetto est un pseudonyme choisi en hommage aux "Sopranos", la série mettant en scène les conflits intérieurs d'un mafieux au sommet, partagé entre ses obligations familiales et son organisation criminelle. Ca me rappelle un truc...

 

Pour les scènes ardentes :

http://www.youtube.com/watch?v=AB_PVQoRrKQ

 

Pour les scènes encore + chaudes :

http://www.youtube.com/watch?v=rMwJ7bzO0As

 

 

 

 

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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 11:39

   the american rome

 

Note de concordance : 8,5/10

 

C'est une sorte de western crépusculaire, dans un village des Abbruzes. Et le "cowboy" qu'a imaginé Martin Booth est un peu fatigué. Il veut prendre sa retraite. Qui d'autre qu'Ennio Morricone pour ambiancer un western spaghetti ? Et bien le producteur Danger Mouse (moitié de Gnarls Barkley) et Daniele Luppi, qui ont décidé de rendre hommage au maître de la B.O. à cheval.

 

Mais "The American" n'a rien à voir avec le Far West si ce n'est que le thème de la loyauté, la figure du hors-la-loi en phase de repentir, et la place prédominante des espaces naturels évoquent tout de même les vieux John Ford ou l'Homme sans nom. D'ailleurs, si George Clooney n'avait pas interprété Signor Farfalla (Monsieur Papillon) pour la caméra scrutatrice d'Anton Corbijn, on pourrait tout à fait l'imaginer sous les traits émaciés du grand Clint.

Paradoxalement, le héros n'est pas américain mais - on le suppose - anglais. Le titre original de ce roman est "A very private gentleman", et c'est le petit bijou filmique de Corbijn qui a donné son nom un peu absurde à cette traduction.

 

Quelle que soit sa nationalité, son visage, son identité, Signor Farfalla sait se faire oublier. Il maîtrise l'art de la disparition à merveille. Presque aussi bien que celui de fabriquer des armes calibrées pour les tueurs à gages. Artisan ou artiste, difficile de trancher ; en tout cas c'est le meilleur.

 

Un homme qui travaille de ses mains a le temps de se servir de sa tête. Un homme qui doit abandonner ses vies derrière lui, garde en lui ses lectures et ses émotions. Il a donc eu tout le loisir de réfléchir à son métier, à la mort, à l'Histoire. Ses réflexions philosophiques sont passionnantes, parfois de mauvaise foi, toujours argumentées. On est très proche de l'excellente BD "Le Tueur".

 

Il est très touchant de sentir cet homme froid, distant, calculateur, se laisser petit à petit émousser par les charmes parfumés de l'Italie profonde. D'une écriture succulente, Booth nous raconte un homme qui tombe amoureux de la vie. Et d'une femme peut-être aussi. Cultivé et épicurien malgré toutes ses précautions pour esquiver la vie, Farfalla succombe très doucement, très secrètement, à la dolce vita.

                              C'est

      sa dernière commande.

Dernière mission.

C'est résolu.

Si... 

 

Si l'on devait classer Danger Mouse (alias Brian Burton - ils sont trop forts ces BB !) dans la catégorie des artisans ou des artistes, on se frotterait au même embarras que pour notre héros. A la lisière... Il faut saluer ce talent pour s'entourer en toute humilité des artistes qui sublimeront ses créations (il n'en est pas à sa première collaboration).

Mais attention, si Luppi est moins célèbre, il est tout autant responsable des flagrances sixties de ces douze compositions et trois interludes. Ecoutez l'extrait de son précédent projet pour vous en convaincre.

 

Après une gestation de plusieurs années qui leur a permis de voir où leur chemin les menait, c'est dans un studio à Rome que les deux hommes se sont installés, en convoquant des étoiles du jazz italien, et des musiciens ayant collaboré avec Ennio Morricone (parmi lesquels Alessandro Alessandroni, son ami d'enfance qu'on entend siffler dans les films de Sergio Leone). Nait alors la musique d'un film qui existera seulement dans nos têtes.

 

rome - groupe

 

Mais ces morceaux voluptueux qui survolent les plaines sauvages ne seraient pas ce qu'ils sont sans un bon duel. Jack White vs Norah Jones. Improbable. Homérique. Trois balles chacun, toutes en plein cœur. En contrepoint de leurs poses naturelles, White se révèle déchirant (il accroche ses tripes sur les mesures de xylophone dans la magique "The rose with the broken neck") et Norah Jones chante depuis les sous-sols des octaves, donnant une profondeur désinvolte à sa partition ("Black" et sa basse qui emporte les violons aux quatre vents est résolument un chef d'œuvre). 

 

Lorsque les armes de ces deux invités ont parlé, des chœurs masculins roulent avec les tumbleweeds de poussière et les arpèges de guitares. Au cœur de ce tranquille tumulte, une jazz bass 59 étouffe ses notes et introduit un autre hommage, à Serge Gainsbourg cette fois. Au point qu'on croit entendre Jean-Claude Vannier (arrangeur de Gainsbourg en 1971) aux commandes de l'auroral "Her hollow ways" - de ses mélodies naît le sun.

 

On ne retrouve pas le grain de folie dont Morricone sait souvent faire preuve dans ses B.O. Le but de "Rome" n'est pas de dévisser les flacons de l'audace, cela laisserait s'évaporer l'essence du travail du compositeur italien. Danger Mouse et Luppi ont l'ambition de laisser un album classique, un sans-faute orchestral, une pièce qui résiste au temps. Comme une balle logée dans un arbre.

 

Orpheline de pellicule, cette bande originale a fini par trouver ses images...

En tant que B.O.L. de "The American", des titres comme "Theme of Rome" qui pleure d'être éternellement coincé entre le sixième et le septième ciel, ou "Season's trees", sommet d'harmonie, imprègnent les réflexions de Signor Farfalla. Dans les ruelles pavées de son village de montagne, j'entends l'écho bucolique de "Rome". Dans les canons qu'il façonne résonne le timbre métallique de Jack White. Dans ses regrets et ses espoirs, je sens les artères d'un cœur noir et serré comme un ristretto.

 

Black :

http://www.youtube.com/watch?v=l3yAx2uCoHs

 

White :

http://www.youtube.com/watch?v=Aws5PhAHfRw

 

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28 juillet 2011 4 28 /07 /juillet /2011 21:12

la-princesse-des-glaces.jpgaswefall

 

Note de concordance : 8/10

 

Comment allier le froid et le chaud sans devenir tiède ? Un enjeu de taille...

La solution de Camilla Läckberg : enfouir son intrigue sous une neige glaçante mais parler de sentiments, et glisser sur une histoire d'amour plutôt que sur du verglas.

Celle d'Aswefall : utiliser les codes cold-wave mais compter sur la chaleur d'un dance-floor pour remonter le mercure.

 

Ce qui intéresse Camilla Läckberg, à l'instar d'Erica, son héroïne et alter-ego écrivain, ce sont les structuresCamilla Lackberg psychologiques qui mènent à une personnalité et aux relations humaines. L'affaire policière est quasiment un prétexte pour étudier diverses tensions familiales, ainsi que les faisceaux de l'amour. Car Erica Falck est une biographe qui marche dans les pompes de Bridget Jones ! Un petit bourrelet de complexes et quelques kilos de loose en trop.

 

Ce n'est pas tant sa liaison distrayante avec un policier qui fonctionne le mieux avec la musique stressée d'Aswefall, que l'enquête, évidemment. Car Erica découvre le corps d'une amie d'enfance dans une baignoire glacée. "La Princesse des glaces". Un suicide aux reflets de meurtre. Assez naturellement, elle va gratter, fouiller, régulièrement devancer la police suédoise.

L'ambiance des grandes maisons de bois, des demeures bourgeoises, des salons saturés de secrets s'épaissit de mystères grâce au son caverneux d'Aswefall.

 

Le duo electro parisien (mais si l'on veut être précis, franco-suédois, ce qui donne une caution supplémentaire à cette Bande Originale de Livre) creuse dans le dur une musique aux sombres projections. Avec une grande place accordée aux plages instrumentales, les synthés tétanisent des mélodies sous-jacentes, qui jaillissent parfois de nulle part, comme les secrets mal enfouis.

Aswefall n'est pas groupe à se vautrer dans la facilité. Ils auraient pu reproduire à l'infini leur tube embarqué sur une pub Air France, "Between us" - http://www.youtube.com/watch?v=GrYCh9L3w94. Comme ils auraient pu recycler à l'infini le son de The Cure, influence majeure et ô combien bienvenue ; "Memphis", longue et majestueuse comme une traîne aswefall duode mariée en pleurs, est d'ailleurs un hommage humble et chaleureux à "All cats are grey". Clément Vaché et Leo Hellden préfèrent gratter, fouiner, régulièrement devancer leurs confrères de toutes origines !

Avalés, assimilés, digérés les claviers de Depeche Mode, la basse de Simon Gallup, l'ambient de Brian Eno, Einaudi et ses silences... Et c'est au fil d'un étrange blizzard synthétique que de plastiques beats imposent une cadence, une urgence à "Fun is dead". Des molécules de notes séminales gouttent le long des morceaux, en transparence - naissance d'un monde cristallin qui parasite l'austérité.

 

"Fun is dead" respire la sortie de club, la porte du videur qui assourdit les derniers tambourinements, les oreilles qui sifflent, les jambes lourdes, la sueur qui se fige autour du corps, l'aube timide. La nostalgie et le plaisir se saluent. C'est l'heure à laquelle le spleen et l'excitation se croisent sur le même trottoir.

 

L'heure d'Erica, justement. La jeune femme culpabilise. Elle devrait se morfondre d'avoir trouvé son amie morte, même si elles ne se fréquentaient plus. Au lieu de cela, cette énigme stimule ses élans d'écriture. Essor vulturin, inavouable.

Des cadavres, des disparitions, un père inconnu, un peintre maudit, une adoption trouble, bien des mystères à dépêtrer... Pour + de réalisme, L'auteure passe souvent le relais de l'enquête à un jeune policier qui devra extirper des ténèbres les nombreuses révélations chocs de cette histoire. Cela ne suffit pas à combler quelques faiblesses dans le récit. La fameuse technique du délai pour maintenir le suspense ("oh, je trouve une lettre primordiale et la fourre dans ma poche, mais je l'oublie et n'y repense que trois chapitres + tard !") est quand même à pleurer de rire. Allez, ce sera tout pour les critiques car la psychologie des personnages est fort bien décrite, et il faut du talent pour le faire sans ennuyer le lecteur. Quant aux filasses de l'intrigue, elles sentent le drame et le renfermé. Tout ce qu'on aime dans le polar scandinave.

 

Ajoutez-y la couche de glace bleutée d'Aswefall pour parfaire la lecture. Leur electro minimale et audacieuse ponctionne la moelle des 80's sans jamais déborder dans d'insoutenables sonorités fluorescentes. C'est la luminescence d'une crypte. 

Inventif, remuant, exotique, ce sublime album investit les neurones aussi bien que Camilla Läckberg. 

 

L'inquiétante et très adaptée "Shadows of love" :

http://www.youtube.com/watch?v=cKhGvPhJcUU

 

La magistrale "Exotica", et sa production de tueur en série !

http://www.youtube.com/watch?v=UaI4kxQ5UR8

 

 

 

 

 

 

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13 juillet 2011 3 13 /07 /juillet /2011 18:58

Vargas - l'arméeYann Tiersen

 

Note de concordance : 8/10

 

Le commissaire Adamsberg avance son regard suspicieux et ses pas lents sur une scène de crime. On l'imagine bien volontiers la gueule froissée et le pantalon mal rasé. En guise de pré-générique, il va nous résoudre une affaire, en un chapitre, à sa manière, en s'attachant à des miettes. Mi-loser mi-génie, mies de pain manquantes... affaire bientôt classée. Quelques bruits de bricoles chez Tiersen, et la cavalcade "Western" commence, parfaite ouverture pour notre héros malgré lui malgré tout. Cette pièce musicale enjouée qui panache xylophone, cordes et guitare donne le ton d'un Vargas : la légèreté le dispute à la mélancolie, un faux rythme pousse les enquêtes, et la complexité monte en puissance.

 

Générique ! : http://www.youtube.com/watch?v=_HWK1TzDISY

 

tiersen

 

Pas évident du tout de tapisser un disque dans le décor de Fred Vargas. Trouver une B.O.L. pour "L'homme à l'envers relevait déjà du miracle et j'ai bien cru que "L'armée furieuse" allait me sécher ! J'ai dû fouiller un moment dans les tréfonds de mon I-Pod pour trouver le seul album que je voyais apte à tenir le crachoir aux fameux dialogues plantureux de l'auteure : "Les retrouvailles".  "Western" étant précisément la clef.

La lecture pouvait se poursuivre...

 

Une petite femme fragile va intriguer le commissaire en lui parlant d'une légende normande, l'Armée furieuse, à laquelle sa fille est mêlée. En menant de front son enquête parisienne en cours, ainsi que l'affaire normande, Adamsberg collectionne les gros ennuis et les fautes professionnelles. C'est pour ça qu'on l'aime.

Les personnages de Fred Vargas sont de + en + improbables, ils ont tous un trait de caractère étonnant disproportionné. Mais si le réalisme du récit en prend un sacré coup dans le coin de la face, savourer l'érudition sans limite d'un Danglard aigri, le gigantisme protecteur de Violette Retancourt, ou les mots à l'envers d'un homme à six doigts (sniatrec xuaevrec ne tnos selbapac), se révèle être un plaisir bien suffisant pour compenser ce "travers".

 

Ce flottement dans le réalisme va de toute façon permettre à Vargas d'évoluer entre le polar et le fantastique. On ne voit pas comment les meurtres qui s'accumulent dans le petit village d'Ordebec pourraient être déconnectés de cette malédiction ancestrale, cette armée des morts qui désigne et condamne les hommes mauvais. Ambiance chargée, sur les chemins de forêt qui sortent tard de la nuit...

 

Vargas cigarette                                Tiersen cigarette

 

Yann Tiersen a souhaité s'éloigner de la ville pour enregistrer "Les retrouvailles". On y respire un vent de liberté, celui de sa chère Île de Ouessant, dont les dernières bouffées atteignent la Normandie de Vargas.

Il est facile de s'enfermer derrière les cordes d'une harpe, sous la lourdeur d'un orchestre ; la force du breton est d'utiliser une orchestration extraordinairement riche de façon légère. Les instruments, aussi nobles soient-ils, sont au service de l'artiste et de sa chanson. L'inverse, on laisse ça aux pompeurs pompiers.

 

Place alors à l'humain, à la fragilité, aux fêlures (la voix sur le fil de Jane Birkin, les guitares et les notes approximatives du trio mythique Tiersen / Miossec / Dominique A,...), aux bruitages d'ambiance, aux rires d'enfants, autour desquels courent cordes ou pianos. Place aussi aux bal(l)ades champêtres au clavecin (le morceau-titre, réminiscence d'Amélie Poulain) ou à l'accordéon ("La veillée", dont le petit feu tiendra compagnie à Adamsberg pendant ses planques).

 

Le traitement des violons, en contrepoint des arpèges, crée une attente, une concentration. "A secret place" en est le meilleur exemple : l'invité Stuart A. Staples (leader majestueux de Tindersticks, lui aussi exilé dans la campagne française d'ailleurs) tatoue ces tensions musicales de son timbre profond et marque le théâtre vargasien de son sceau.

 

Yann Tiersen marie miraculeusement intimisme et bravoure, parvient à faire monter une sauce bien à lui, cette musique dont votre cœur va finir par suivre les battements, ces chansons qui s'emballent sans jamais tomber dans la démonstration. Essayez donc de composer de tels morceaux sans ressembler à du Calogero (ok ok je sais, il y a largement pire, mais ma cervelle n'a que lui sous la main pour l'instant. Je vous tiendrai au courant si je trouve mieux) ! Peu naviguent aussi bien entre instruments à cordes, à vents et marées de guitares.

 

La tristesse prononcée d'une partie des chansons ne correspond pas toujours au récit mouvementé, mais à l'esprit fugueur du commissaire, oui. Les pensées toujours aux vents ; un bout de neurone pour disculper un petit incendiaire qu'il croit innocent, un fil d'idées pour retrouver le salaud qui torture les pigeons, une cellule grisée pour dénouer les meurtres dOrdebec, un nerf optique obtus pour plonger dans le décolleté de la témoin... Dissolu, le bonhomme.

La cohérence de Fred Vargas l'est un peu, aussi, dissolue. Systématiquement imaginer un lien entre des affaires distinctes, quand bien même fût-il infime, nuit à la crédibilité. Articulations hautes en couleuvres ! Mais là encore, on l'excuse. L'empathie aux personnages est trop puissante pour faire la grimace. L'écrivain connaît sa force et en joue, à raison.  

 

Jubilation communicative ! Elle se fait plaisir en insérant un road-movie digne de "L'homme à l'envers" au milieu du livre, crée toute une fratrie de freaks suspects, met l'accent sur une accusation qui renifle le coup monté - on pense forcément à l'affaire Césare Battisti dans laquelle elle a pris parti - et déterre les superstitions de ses campagnes.

 

Mysticisme, terres sauvages et vie quotidienne... Autant de thèmes communs au roman et au disque. De beaux échanges ont lieu tout au long de cette promenade dans le nord de la France ; d'est en ouest, bercé par les mots et les notes, fasciné par la cohorte médiévale et sonique, les embruns de chacune de ces œuvres ont plu dans ma tête.

 

Emouvant de voir le Grand Stuart en studio avec Tiersen :

http://www.youtube.com/watch?v=fLUWiIVjz5w 

 

Un peu d'action, avec "La boulange" :

http://www.youtube.com/watch?v=6mkaCcMSXFA

 

 

P.S. : ça y est, ma cervelle en a un pire sous le coude maintenant. Stanislas. On lâche des noms chez B.O.L. !

 

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3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 09:52

descenteBonobo-Days-To-Come

 

Note de concordance : 7/10

 

Je tiens là une nouvelle illustration de l'intérêt de la Bande Originale de Livre.

Oui, souvent, la musique veille sur les personnages, souligne l'action, fait monter la pression, édulcore les situations, transcende le récit. Si vous ne me croyez pas, après bientôt 30 articles... je lâche l'affaire ! Ah, c'est juste que vous n'arrivez pas à lire et écouter de la musique en même temps ? Je sais, je sais, vous me le dîtes tout le temps, je vous crois. Je dois être fait bizarrement. Encephalosplité...

Dans le cas de "Descente aux enfers", cependant, la B.O.L. m'est apparue indispensable pour sauver cette lecture ! Car non, je n'ai pas tellement aimé ce livre, et n'aurais sans doute pas suivi Bevan au bout de son enfer sans l'aide de Bonobo.

 

Plutôt qu'une immersion dans la moiteur de la Jamaïque des années 50, on s'embourbe dans les pulsions destructrices d'un courtier de Wall Street alcoolique. Le couple qu'il forme avec Cora, à une étincelle de l'implosion, a débarqué à Kingston pour un peu de repos. Mais Bevan va trouver là, dans ce pays aux règles rares et souples, l'occasion de s'extraire un peu mieux encore du carcan social qui l'asphyxie.

 

Je dois le maintien du plaisir de lire ce roman à l'exotisme de "Days to come". C'est la musique qui a sculpté un relief à la forme assez plate choisie par Goodis. Simon Green (alias Bonobo) semble créer sa musique comme un enfant joue aux Playmobil : il prend toutes les pièces qu'il a sous la main pour disposer le tout en harmonie, en déplaçant ses sujets - qu'il possède en nombre - pour voir ce qui rend le mieux, en osant des mariages incongrus. Jusqu'à ce que ce petit village tienne debout.

Le trip-hop coloré se voit alors cohabiter avec des percussions world et un violon badin. Tiens, et là, si on mettait un peu de funk acoustique ? A la fenêtre de "Nightlite", une cuica brésilienne pointe le bambou de sa queue. Un jazz cuivré rencontre la joie de vivre africaine sur le bord du chemin ("Transmission 94"). Le blues est cerné par une soul sensuelle que la voix de l'invitée Bajka diffuse sur un tiers de l'album ; les instrumentaux prennent le relais et faciliteront même la lecture aux + récalcitrants à la B.O.L. !

 

Comme on écarte un rideau de porte tropical, l'intro du disque et sa flûte funky flanquée d'ivresse saluent l'arrivée de Bevan dans le bar le + glauque des faubourgs de Kingston. Où l'on s'assomme autant aux alcools frelatés qu'aux mauvais coups. Le muscle lourd, la tête comme un tonneau de rhum en milieu de soirée, il s'extirpe d'une bagarre. Puis une agression l'attend. 1-0. Il l'emporte face à l'antillais, largement, d'une bonne longueur de tesson dans la gorge d'avance...

L'étrange cocktail de sentiments (1/3 de culpabilité, 1/3 d'indifférence bien mûre, 1/3 d'autodestruction, un soupçon de la part d'un maître chanteur) va longuement étuver sous le soleil jamaïcain - sous le downtempo entêtant de Bonobo. David Goodis a lui-même eu un parcours qui immanquablement fait penser à son héros : quelques romans à succès, un début de carrière à Hollywood, un court contrat avec Warner, puis une lente chute vers le quasi-anonymat et la déprime.

goodis 1                            goodis 2

C'est vrai qu'il a pas l'air bien, le pauvre...

 

A la lueur de cette vie solitaire, on ne peut s'empêcher de penser à ce triste destin lors de la scène la + réussie du roman, quand Bevan se débat dans une fosse de boue, noyé de chagrin et d'eau brune. Une eau épaisse qui aura pourtant le goût de la vie. Idéal avec les ébats rythmiques tendus d'"On your marks".

 

La fin de "Descente aux enfers" est supérieure au reste. Sa noirceur prend enfin des reflets. En attendant, des titres grinçants comme "The fever", ou intenses comme "Nightlite", auront donné de la substance aux nuits blanches de Bevan. Bonobo, l'orfèvre du label Ninja Tune, armé de ses beats au couteau, a taillé un costard tout en sueur au héros, offert une ambiance torride et une profondeur au tableau sans ligne de fuite de Goodis. Trempé ce récit dans 90% d'humidité. Transmis la fièvre.

 

Les ébats sus-cités :

http://www.youtube.com/watch?v=oJW81niQS0I

 

L'intensité sus-citée, en live at Koko :

http://www.youtube.com/watch?v=oRGAveBCtmE

 

 

 

 

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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 07:03

Le bonhomme de neigeYodelice

 

Note de concordance : 8/10

 

Initialement, je n'étais pas convaincu par cette association. Je souhaitais un disque beaucoup + rock, + brut pour donner un coup de fouet à cette nouvelle aventure de Harry Hole. Comme le froid polaire vient mordre les joues. Mais on n'a pas toujours tout sous les oreilles, et lorsque, engoncé dans le menu fauteuil d'un avion, j'ai entamé le livre qui allait me faire passer douze heures de vols pour un trop court saut de puce, le deuxième album de Yodelice me parut être un substitut acceptable à The Vines, The Subways ou Veruca Salt. Ou à Hole. Ca aurait été drôle, Hole...

Déjà qu'à la base je ne croyais pas en Yodelice (pseudo de Maxim Nucci, compositeur pour Jenifer), il m'aura + d'une fois fait ravaler mes préjugés, l'homme au chapeau ! Bien fait !

 

Dès le premier riff argenté de "Breathe in", j'ai senti qu'il se passait quelque chose entre les deux œuvres. La tension ! Les guitares et les échos plaintifs en arrière-plan veulent nous prévenir du danger que les premiers flocons de neige enrobent. Sur le tourbillon arabisant qui ébouriffe la chanson, on commence à se perdre dans les époques de chaque chapitre du "Bonhomme de neige", les premières fausses pistes. La complexité de l'enquête - et donc toute sa saveur - happe le lecteur dès les premières pages, et l'aveugle comme le ciel d'hiver.

 

Harry Hole est devenu un quasi flic rock-star, on l'invite dans les talk-shows dans lesquels il vomit sa bile. Son mal être, son métier, son ex, son ami Jim Beam, le bouffent comme un cancer. Amaigri, usé, mais l'instinct bien moins vitreux que ses yeux, il va s'acharner sur des statistiques anormales de disparitions de femmes. Pas de cadavres pourtant... Les indices fondent... neige au soleil. L'équipe de Hole stagne comme une pierre de curling qui a raté sa cible. Mais l'Inspecteur a reçu une lettre, bien mystérieuse, se référant à son enquête en Australie dans "L'homme chauve-souris"... Combien de fois l'ombre d'un tueur en série s'est élevée au-dessus de lui pour se dématérialiser à la lumière de la vérité ? Et cette fois ?

 

La réponse est dans les yeux charbonneux des bonhommes de neige. Innocente œuvre d'art enfantine détournée. Le regard fixé à l'intérieur des maisons rouges norvégiennes plutôt que sur l'horizon. Fantomatique intrus, pâle épouvantail, pont tendu entre l'enfance et la terreur ("Nous allons mourir" murmure un gamin).

 

yodelice photo

 

Yodelice a choisi un look d'épouvantail chic, une larme suspendue sous l'œil. Une plume redonne le sourire à un vieux chapeau. Après un premier album où il balade ses mélodies sur de charmantes routes folk, il a le culot de le surpasser sur "Cardioid" en explorant les forêts psychédéliques. En cueillant des mélodies bouleversantes. En osant.

Vu le succès de "Tree of life", les factures EDF ont pu être payées : il dérive l'électricité et des riffs concis alimentent ses compos.

La rugosité de vieux amis me revient alors : Madrugada. Groupe norvégien (hasard en série...) qui a fait subir d'identiques électrochocs à sa musique dès 1999. Splendide "Industrial silence" dont Yodelice, génétiquement codifié, parcourt les mêmes terres gelées. Avec en + en poche cet art délicat des chœurs.

 

"Cardioid" va donc cristalliser les images glaçantes de cette enquête compacte. Boule de neige compressée par un Jo Nesbø qui semble + confiant que jamais dans son art de raconter une histoire dense. Ingénieux conteur, il sème des graines de chaque intrigue dans l'épisode précédent pour mieux les développer, comme ici avec "Le sauveur". Je ne peux ainsi que vous conseiller encore (ordonner, ce serait trop ?) de lire les Harry Hole dans l'ordre.

 

Notre héros alcoolique a des goûts musicaux prononcés (Jo Nesbø y est sensible ; il a fait parti d'un groupe de rock célèbre en Norvège, Di Derre, dans les années 90). Pendant cette enquête, il écoute Neil Young, Johnny Cash, et surtout le premier album de Ryan Adams. On n'est pas si éloigné de "Cardioid" ; je trouve cependant davantage de reflets entre un titre comme "Monkey's evolution" et le cauchemar acide dans lequel plonge Hole. Les notes, aspirées patiemment - comme un plan pernicieux - renvoient l'enquête vers le passé. Horreurs boréales... Les sons se chamboulent comme les informations dans le cerveau de l'Inspecteur.

La batterie stalagmite de "Wake me up" fait monter le rythme cardiaque dans les scènes de suspense, tandis que les cris de "Experience" glacent les sangs autant que celui de Munch. "My blood is burning" devrait avoir l'effet inverse, mais son rythme saccadé ajoute de la tension.

Un moment de répit pour les parenthèses romantiques, avec l'éblouissante valse "Five thousand nights" en duo avec Marion Cotillard.

 

Cette dernière aurait pu jouer la froide, efficace et excitante collaboratrice de l'Inspecteur Hole dans l'adaptation du "Bonhomme de neige" au cinéma. Comme je vous le signalais dans une chronique sur "Chasseur de têtes", Jo Nesbø est observé à la manière d'un nouveau Stieg Larsson et ses intrigues abyssales intriguent Hollywood. Pas au point, espérons-le, d'aseptiser l'univers Harry Hole, de lui faire boire du thé froid et parler poliment à ses collègues. Vu le beau-gosse propre sur lui choisi pour lui donner chair (de poule ?), je suis un peu inquiet...

 

film Snowman

 

Voici la bande-annonce :

http://www.youtube.com/watch?v=3GNvOBWTdpQ

(aux dernières nouvelles, il s'agit peut-être seulement d'un trailer pour le livre (!)... La mise en chantier de l'adaptation serait pour + tard)

 

Il faut également souhaiter que le film ne prenne pas comme mètre-étalon les dernières séquences du livre qu'on aurait préférées too Munch que too much : du spectaculaire quelque peu mal accordé. Pas une fausse note, toutefois, et rien qui gâche l'incursion dans cette capricieuse tectonique des faux semblants.

 

Le site de l'auteur, très bien conçu :

http://jonesbo.com/

 

Comme un parfait générique de début :

http://www.youtube.com/watch?v=7_CjI8MVY8I

   

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7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 07:23

NevermoreMoriarty 

 

Note de concordance : 6.5/10

 

Rideau !

Bienvenue au cabaret ! Derrière les volutes, les spectacles étrennent le plancher. Les artistes jouent sur du velours. Les chansonniers étourdissent, les tours font chanceler les regards. Il y a de la magie dans l'ère : XXème siècle, première partie.

 

"Nevermore" se situe dans les années 20. La musique de Moriarty, pas loin. Ce premier album des franco-américains date pourtant de 2007, mais les percussions foutraques, l'harmonica fanfaron et la guitare qui transpire le blues à grosses gouttes semblent sortis d'un vieux vinyle retrouvé dans un grenier avec vue calfeutrée sur le Mississippi. L'enregistrement capte la voix perçante de Rosemary comme si le micro se trouvait dans un cabanon ou dans l'arrière-salle d'une fête foraine. Tous les instruments additifs (et par instruments, il faut entendre "de musique", ou "de cuisine", ou "de mesure", ou "de médecine", ou "de navigation", ou que sais-je encore - personne n'a jamais rangé tout le bataclan de ce disque !) bourlinguent dans ce même esprit bringuebalant. Le bastringue bazarde les barricades du formatage et atteint l'essence des ambiances de guinguette. L'auditeur en goguette se retrouve devant une scène de music-hall qui ne joue que pour lui. Une scène sans ménage, qui assume ses glorieuses poussières.

 

On imagine Le Grand Houdini en personne opérer sur ces mêmes estrades, déliant les maillons constrictor, venant à bout de tous les coffres, déverrouillant les limites de l'illusion. Il est le personnage-clef (facile, je sais ; j'aurais peut-être dû la laisser sous scellé, celle-là) de "Nevermore". Houdini !Il a cependant un compagnon de choc pour élucider son affaire : Sir Arthur Conan Doyle. A eux deux, aidés de quelques revenants spectraux, ils vont tenter d'élucider une série de meurtres qui font trembler les gratte-ciels de New York. Ces crimes mettent macabrement en scène des nouvelles d'Edgar Poe. Les cadavres se ruent à la morgue ! Elémentaire : le duo enquête.

 

Le père de Sherlock Holmes a réellement lié amitié avec Houdini. William Hjortsberg, qui est aussi scénariste hollywoodien ("Angel heart" par exemple), emprunte un canevas historique parfaitement avéré et tisse habilement ses mailles fictionnelles autour de lui. 

C'est sa passion débordante pour le spiritisme qui a poussé Conan Doyle à fréquenter le prestidigitateur. Leur respect mutuel finit par s'envenimer, Harry Houdini n'adhérant absolument pas à l'existence des esprits ; pragmatique, seule l'illusion trouve grâce à ses yeux. Seuls les charlatans entrouvrent l'au-delà, par le truchement de trucs. Ce roman se penche davantage sur les relations électrisées des deux héros, sur leur duel argumenté, que sur l'enquête policière, presque reléguée à l'arrière-plan.

 

Quelques voiles de mystère se superposent pour maintenir l'atmosphère de feuilleton populaire et la pleine attention du lecteur. Comme cette apparition d'Edgar Poe, les pièges grandiloquents ou le personnage d'Isis, séductrice fatale + intrigante qu'une boule de cristal. 

 

On se figure volontiers Isis avec la voix classieuse de Rosemary. Toutes deux sont énigmatiques, indépendantes, libérées et entourées d'hommes. moriarty scèneLa diva est accompagnée de quatre "frères" - mais la "famille" Moriarty est à taille variable. Chacun trimballe sa petite valise d'idées qui alimentent l'opérette folk "Gee whiz, but this is a lonesome town". Comme un magicien en sortirait une colombe ou le chien de Columbo, les Moriarty en extraient kazoos, clarinettes, cloches, machine à écrire (on croirait entendre Conan Doyle en plein travail à l'écoute de "Jaywalker").

Avec trois bouts de ficelles et cinq cordes de banjo, cette improbable formation funambule joue à superposer des cailloux. Par miracle, leurs mélodies tiennent la route, sans note molle, sans consensus, sans qu'on s'en moque. Libre équilibre.

 

Quelques titres se parent d'une humeur inquiète qui fait la part belle aux scènes d'angoisse ou de claustrophobie du roman. Dans cette catégorie, "Animals can't laugh" et ses accents orientaux glisse furtivement sur les parures d'Isis. Et même sur la longueur, ce disque baroque de bric et de broc intemporel se suspend bien aux aventures placides des deux peoples d'un autre temps.

 

Hasard, coïncidence, subconscience ? Moriarty est aussi le nom de l'ennemi juré de Sherlock Holmes, inventé par Conan Doyle. D'ici que l'esprit de Sir Arthur m'ait dicté le choix de cette B.O.L....

 

En attendant le nouvel album fin avril, "The Missing room", voici le titre qui a révélé le groupe, "Jimmy":

http://www.youtube.com/watch?v=lnbl94GZ6TM

 

 

 

 

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14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 19:23

lac des singesgainsbourg jazz dans le ravin

 

Note de concordance : 7.5/10

 

Chez Gainsbourg, on claque des doigts.

Chez Malte, les mots claquent. 

Au lac d'Evian, les gens claquent de l'argent. Ou claquent tout court. 

 

Je vais souvent à Evian. J'aime ses couleurs. Bleu du lac et blanc des murs. Quand je m'y rends, "Rose Kennedy" de Biolay fait toujours un tour dans mes oreilles.

biolay rose kennedy

 

Pourtant, c'est au Grand Serge que j'ai confié la B.O.L. du "Lac des singes". Sachant que le héros du livre était un pianiste jazz, l'évidence a éclaté. D'un claquement de doigt.

 

Mister débarque donc au Casino en trombe, dans la voiture d'un chauffard de taxi. Et déjà, "Du jazz dans le ravin" épouse la route de ce petit polar fiévreux. Mister vient au pied levé intégrer un quatuor de jazz. Remplacement. Mais l'atmosphère est lourde, entre deux concerts. Les gagnants du Casino se prennent une balle dans la tête. Zéro à la roulette. Rien ne va plus !

Avec un phrasé cinglant, quasi-musical, Malte pose son intrigue, entortille ses énigmes, manque de se noyer dans les pensées en eaux troubles du tueur. Dans un lâcher de seconds rôles décalés, il nous décrit la ville, et surtout la faune du Casino Royal : ses vieux beaux, ses mamies frisées de la tête aux pieds du caniche, ses losers "un perd et passe". Il excelle dans la partition du club de jazz. L'intensité des concerts suinte. La sueur perle le long des mots qu'il fouette et aligne au diapason.

 

Si sont cités + facilement Sonny Rollins, Louis Armstrong ou Charlie Parker, la période jazz de Gainsbourg fait honneur au genre et colle aux basques du livre. "Coco and co" et ses échos de public conquis, sa présentation des musiciens, ses métamorphoses rythmiques, la décontraction amusée de Gainsbourg, est idéale pour béoèliser ce chapitre (qu'est-ce que c'est que ce mot inventé? Oh, ça va... Elaeudania téitéïa n'existe pas non plus !).

On retrouve dans cette compilation concentrée sur sa période jazz 1958-1964, les saveurs de Saint-Germain-des-Prés, des caves d'où résonnaient les contrebasses. Le type génial qui a eu la mauvaise idée de se barrer il y a vingt ans se montre tour à tour dramatique, rigolard, dandy, cruel. Déjà tout un panel de ce qu'il développera + tard. Dans d'autres genres.

Je passe aux aveux : la langue de Gainsbourg a parfois trop de relief, trop d'aspérités pour ne pas aspirer le lecteur hors du roman. Heureusement, quelques instrumentaux ciblés polar ponctuent "Du jazz dans le ravin" et permettent de se reconcentrer sur le lac Léman.

 

Marcus Malte semble improviser. Il jazzote ! C'est le rythme et la musicalité des mots qui l'intéressent. On s'en délecte. Sucrées saletés... Les phrases restent sur la langue. Elles tintent.

Ca ne l'empêche pas de constater au passage, les dégâts du Jeu. La mesquinerie des péquins qui paluchent le bandit manchot. L'influence du casino sur la ville. Sans rentrer dans la politique, le journalisme ou même le réalisme. Répétons : avant tout, c'est de la musique ! Agatha Christie en mode Ella Fitzgerald. Du style !

 

Style et précision. La devise de Gainsbourg. Il devait tenir ça de ses années jazz. Ces deux préceptes aiguillent "Black trombone". Epaulé par Alain Goraguer (arrangeur de l'ami Boris Vian), Gainsbourg pourrait avoir écrit ce morceau pour décrire les yeux mélancoliques de Mister, enquêteur malgré lui.

Tout comme "Quand mon 6.35 me fait les yeux doux" vient se plaquer contre votre tempe, lorsque le tueur joue avec son flingue. Pan ! Pan !

Quant à "Requiem pour un twister", ses sursauts d'orgue swinguent, paraphent chaque paragraphe. La menace énoncée, gonflée d'humour noir, fait un sacré thème principal. Va y avoir du mort...

Alors gare aux gagnants ! Trépasse hold'em, faites vos jeux !   

 

Noir, le trombone...

http://www.youtube.com/watch?v=PRgq11gLgNw

 

Initials MM, je vais maintenant me plonger dans le reste de sa biblio :

http://www.marcusmalte.com/

 

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28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 07:10

  

nesbo-chasseur.jpgnotwist 

 

Note de concordance : 7/10

 

Lorsqu'on ouvre le CD de The Notwist "The devil, you + me", on découvre une figure géométrique (bien fait pour toi, Pirate des Torrents, tu ne seras pas en mesure de vérifier !). Une illusion d'optique. Vos yeux sont certains de voir des lignes partant dans tous les sens. Pourtant elles sont parallèles, mais de multiples petites barres parasitent la perception. Ce schéma délivre une belle allégorie du livre "Chasseurs de têtes".

 

"Remember the good lies win", avisent The Notwist d'entrée. Jo Nesbø applique ce précepte et se délecte des faux-semblants avec lesquels il va s'amuser. Ce roman est pour lui une récréation, hors du contexte de la saga "Harry Hole". Une parenthèse dans laquelle il explore son art du rebondissement et du trompe-l'oeil.

Ainsi, Roger Brown, chasseur de têtes pro jusqu'au bout de la manucure, héros des DRH, fouineur de CV, pote d'UV des PDG, n'est pas tout à fait celui qu'on croit. Chacun des premiers chapitres va s'évertuer à dévoiler une nouvelle facette de cet homme froid et vaguement complexé par sa plantureuse épouse : hautain, manipulateur, amateur d'art, un rapport à l'honnêteté bien + lointain que les Pirates précités. Une saleté en somme. Juste de quoi le rendre attachant, d'autant que l'engrenage dans lequel il fourre son petit mètre soixante-huit va huiler la sympathie que l'on a pour lui. Comment ne pas être conquis par un type qui se met, on ne peut + littéralement, dans la merde ? 

 

Il y a indéniablement une dimension organique dans la musique du groupe bavarois, mais ô grand dieu, rien de merdique. C'est davantage la tension sous-jacente de leurs compositions qui fera de "The devil, you + me" un beau décor sonore à cette histoire nerveuse et rythmée. Certaines boucles de guitares inquiétantes ("On planet off"), ou mieux encore l'intro orchestrale herrmannienne de "Where in this world", entretiennent un suspense à faire grincer les dents de notre héros sur le parquet. La luxuriance de cet orchestre sera finement parsemée le long de cet album à l'antithèse du pompeux. Et évoquera le faste que vise Roger Brown.

Le copinage électro-acoustique des Notwist, les cordes sans strass, les strates d'accords, tout est affaire d'harmonie. Cet album est une forêt sonore de superpositions mélodiques, les synthés y croassent, les beats y coassent, les guitares y bourdonnent. Un terreau expérimental pour des plants pop... Le fourmillement de sons et d'idées a la même épaisseur que l'obscure personnalité du héros malmené. Electro cuts contre coupe de cerveau. Epluchures éployées.

 

 

Ce que Jo Nesbø montre avec + de mesure que les pensées de Brown, le gentleman-hunter-cambrioleur, ce sont les séquences-clefs de son récit. Voilà un auteur qui serait capable de nous décrire une chambre d'enfant en nous la faisant passer pour une cage d'ascenseur dix pages + tôt, sans se démentir (Good lies !). Eclairagiste, sa plume est un spot qu'il dirige sur des détails précis, nous faisant prendre ses lanternes pour un messie. Il pousse le procédé à son paroxysme, multipliant les coups de projecteurs trompeurs, les faisceaux infléchis, les images réfléchies. Nous voilà empêtrés dans un jeu de marionnettes dont les personnages sont les spectateurs, et le lecteur la victime désarticulée.

 

Le fil de cette BOL pourrait rompre sur une arête affilée : l'humour et la cadence de "Chasseurs de têtes" tranchent avec le chant détaché et mélancolique de Markus Acher. L'effervescence musicale, la programmation grésillante de Martin Gretschmann, les gzzzzz, les krrrrll et les blipp  qui krrépitent  et qui strrrructurent le disque compensent aisément cet inconvénient. L'orage qui menace derrière chaque chanson, + encore.

 

Jo Nesbo est en train de devenir une star du thriller, un Stieg Larsson en + vivant, et l'industrie cinématographique le caresse dans le sens de la brosse. Outre les aventures de Harry Hole, "Chasseurs de têtes" est en cours d'adaptation filmique. Toute première photo :

 

Headhunters 

 

Une image très fidèle d'une scène du roman. Si seulement la musique du film pouvait aussi être fidèle à celle qui me trottait dans la tête, et être + originale qu'un simple score planplan plan par plan. S'inspirer de l'humus musical des allemands...

  

On peut commencer à rêver en regardant ce très beau clip : 

http://www.youtube.com/watch?v=ksMkENKMlyk&playnext=1&list=PLD61A5806B0DE5C38

 

Puis perdez-vous dans le labyrinthique et fascinant site officiel de The Notwist !

http://www.notwist.com

 

 

 

 

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Un Livre Et Sa Musique

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