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7 juin 2013 5 07 /06 /juin /2013 11:39

 

Avant-D-aller-Dormir.jpgTricky-False-idols.jpg

 

Note de concordance : 7,5/10

 

 

Je souhaiterais porter plainte. J'ai été kidnappé. Happé. Assommé. Pieds et sens liés par une association de malfaiteurs anglais. Un livre et un disque sur un coup fumant, conspirant pour vous arracher au sommeil. Méfiez-vous de ce duo !

 

Le cerveau se nomme Watson. Premier coup à son actif, mais quel coup ! Il attire les lecteurs dans ses filets avec un pitch digne du box-office américain. Une jeune femme se réveille dans le lit d'un inconnu d'un certain âge, se dirige silencieusement vers la salle de bain, et constate avec effroi qu'elle n'a plus la vingtaine mais plutôt 50 ans ! L'homme la rejoint, la rassure, lui explique qu'il est son mari et qu'elle souffre d'une forme rare d'amnésie : suite à un accident, le cerveau de Christine ne stocke plus de nouveaux souvenirs. Depuis presque trente ans, le sommeil anéantit sa mémoire récente. Chaque nuit sa disquette est formatée, chaque jour elle doit réapprendre son histoire. Ainsi commencent les trois premières pages d' "Avant d'aller dormir".

 

sj-watson.jpg 

 

L'exécutant, un vieux de la vieille ! C'est sa dixième affaire. Tricky est un des trois principaux braqueurs qui ont monté le coup du trip-hop, avec ses collègues de Massive Attack et Portishead. Les coupures de presse racontent toutes que "False Idols" est une sorte de suite du chef d'oeuvre de 1995 "Maxinquaye", un retour aux sources, et semblent couler dans le béton tout ce qui s'est passé au milieu comme si c'était négligeable. Résumé facile ! L'oeuvre au noir de Tricky est belle et complexe ; comme les cadavres, on ne s'en débarrasse pas comme ça, elle réapparaît toujours.

 

tricky.jpg 

 

Il est pourtant vrai que "False Idols", édité sur le propre label de l'artiste, aligne une cohérence et une constance dans la justesse que les tout derniers albums n'assuraient pas. Minimales, intimistes, envoûtantes, les quinze chansons renvoient une lumière noire obsédante. L'intensité ne baisse jamais. Les mélodies, comme toujours susurrées par Tricky et chantées par des invitées à la voix soul, sont épurées, cristallines, et contrairement à ce que subit l'héroïne du roman, elles se gravent tranquillement dans la tête. Basses pesantes, groove neurasthénique, l'electro de Tricky va à l'essentiel. Pas besoin de fioritures quand la base est impeccable. Juste une production au cordeau, moderne et homogène. Le disque est une étourdissante ritournelle en quinze mouvements distincts.

 

En + du fait de la tension qui traverse les compositions, cette homogénéité habille à merveille ce récit qui se répète. Tous les matins, Christine se réveille pour vivre approximativement la même journée, avec de sensibles variations. On déplore aussi le calvaire patient de Ben, son mari, obligé d'expliquer à sa femme pour la millième fois où elle se trouve, quel âge elle a, comment ils se sont rencontrés et pourquoi son téléphone n'a plus besoin de fil.

 

Grâce à une construction d'orfèvre presque aussi fulgurante que le parfait "Memento" de Christopher Nolan, S.J. Watson va faire dérailler cette insoutenable routine avec une idée simple : l'introduction d'un journal intime, véritable mémoire délocalisée de l'héroïne qu'elle alimente jour après jour sur les conseils d'un docteur, au point de reconstituer certains événements, déloger des vérités, et déceler d'inquiétantes incohérences dans ce qu'on lui raconte - et les menteurs, mon cher Watson, on ignore combien il y en a. L'auteur nous enferme dans sa construction labyrinthique aussi ingénieuse qu'addictive. Ce qui pourrait être un quasi huis clos va éclater à coup de rebondissements excitants.

 

Je vais moi-même rebondir (sans trop espérer vous exciter pour autant !) sur le fait que Tricky a réalisé son album enfermé chez lui. Il reconnaît bien volontiers que la sociabilité n'est pas son fort et croiser des stars dans les studios d'enregistrement, se sentir obligé de faire la causette à ces fausses idoles, ça ne l'intéresse pas. Cela donne cette ambiance claustrophobe au disque, qui enserre Christine et sa course aux souvenirs écrits. La vie de cette amnésique est une suite de parenthèses de + en + pleines. Inévitablement, les jets de guitares menaçants de "Parenthesis", splendides et anxiogènes, font monter la pression d'un cran à chaque écoute et collent au propos.

 

Les arrangements épurés de Tricky accordent une place de choix à chaque ligne mélodique, à chaque boucle, chaque percussion. Pas de background brouillon. Les notes sont sélectionnées, égrainées, triées sur le volet. Cette sensation de dénuement sublime laisse un passage aux silences, aux respirations, au vide (la belle reprise de Van Morrison "Somebody's sins" creuse les cavités les + profondes). Parfaite représentation du cerveau ébréché de cette femme à la recherche de son passé - et de son présent. "False idols" est comme une histoire à laquelle manquent des cases qu'on a besoin de combler, d'où notre oreille à l'affût. Quant aux pièces de puzzle de Christine, elles s'autodétruisent la nuit tombée. 

 

La tension du roman, ce tiraillement entre un passé et un présent qui se rejoignent dans les notes d'un journal intime griffonnées dans l'urgence de l'éveil, est chevillée par le riff psychopathe de "Does it", les beats implacables de "Hey love" ou les cordes vénéneuses de "Nothing Matters" que la géniale Nneka illumine de sa rage désenchantée.

L'intimité de Christine, ses questionnements et son courage face à ce cauchemar sisyphéen trouvent des échos dans les titres les + sensibles du disque, la touchante et fort à-propos "If only I knew" ou le sample magique de Chet Baker d'où se déroulent les volutes "Valentine".

 

Alors oui, l'association de ces deux oeuvres denses nous détournent de la réalité. C'est un rapt dans un monde ouateux et intriguant, une passionnante plongée dans les souvenirs effilochés et la reconstitution de soi. Leur rencontre a trouvé du sens jusqu'à la dernière page. "False idols" évoque les célébrités qui ne méritent ni leur statuts ni leur statues, et qui auraient dû rester anonymes, tandis qu' "Avant d'aller dormir" parle d'une femme qui n'est personne et qui veut juste devenir quelqu'un. 

 

La mémoire courte ou victime du syndrome de Stockholm... finalement je retire ma plainte.

 

Quitte à subir ce rapt, lancez-vous vite avant que l'adaptation hollywoodienne  en 2014 avec Nicole Kidman et Colin Firth ne vienne déflorer l'intrigue et lâcher ses bandes annonces qui racontent les 8/10èmes du film.

 

Before_I_Go_To_Sleep.jpg

 

 

 

Et pour finir, un aperçu global de l'album en un seul clic. 

       

 

 

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commentaires

M
Merci pour la recommandation. Gardien définitive.
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