Note de concordance : 9/10
Le corps et l'esprit.
C'est un être de chair et de sentiments qui naît de l'union des oeuvres qui convolent aujourd'hui.
"La vie sexuelle des super-héros" s'attache donc à des corps. Mais pas des corps communs ; ceux dotés de super-pouvoirs, celui élastique de Red Richards (vous savez, le leader malabar des Quatre Fantastiques), celui métamorphe de Mystique, les muscles mis à nu de Batman ou le corps ubiquiste d'une super-anonyme.
Marco Mancassola plonge dans la vie amoureuse de ces mythes effondrés, démaqués, banalisés, télé-réalitisés, tout en échafaudant un grand complot, fil conducteur du roman, qui vise à éliminer ces gloires du passé, ces héros rangés des toitures, les capes et les collants au placard. A moins qu'un tueur en série s'acharne sur nos idoles adolescentes ? "Adieu cher Batman" : c'est le message que reçoit le narcissique Bruce Wayne sur un carton blanc. Ca va faire mal...
On pense forcément à "Watchmen" et au "Dark Knight returns" vieillissant de la BD de Frank Miller, mais la vision contemporaine et européenne (l'auteur est italien) posent une chape de désespérance post 11 septembre encore + trouble sur le monde des super-héros américains.
Nés dans les cendres en suspension des années 2000, The XX a offert une voie, deux voix, trois voiles de beauté épurée sur la pop de notre époque. Avec un minimum d'effets, une économie de notes stratège qui espace les strates acoustiques de manière subtile, le trio londonien a redéfini la new-wave, l'indé et l'electro. Depuis le trip-hop, on n'avait sans doute pas célébré la naissance d'un genre musical. Et même si les nouveaux genres semblent condamnés au mélange et au recyclage, innover au sein du ventre mou de la pop reste un exploit. Etrange d'ailleurs que les magazines britons ne se soient pas engouffrés dans le grand débat du baptême stylistique : nu-wave ! Pure-pop ! Trip-cold ! No-rock ! Sans doute est-ce parce que la musique de The XX flotte dans les airs, inatteignable, indéfinie comme leur patronyme. Un groupe né sous X.
Il y a une dimension spirituelle dans "Coexist" , un deuxième album qui absorbe le silence au coeur de sa composition. La voix est souvent à nu, dans la même intimité que les super-héros du roman. Les notes sont rares, sélectionnées grain après grain par trois sages. L'ascèse musicale des XX tourne autour de quelques riffs de guitare planants, d'une comète de ballets synthétiques, d'une batterie satellite capable de s'effacer et de réapparaître à tout moment tel un système lunaire, et d'une basse terrienne, pragmatique, retenant sporadiquement les mélodies par le bout de la nuit.
C'est aussi en cela que le livre et le disque gravitent bien ensemble, aux heures classées X. "Coexist" est un album nocturne, invoquant les nuits solitaires d'amoureux transits, tant que la transe des boîtes à rythmes des dancefloors cotonneux. Marco Mancassola aurait pu se gorger des lumières de "Sunset" pour ainsi éclairer ses héros d'un rai pourpre crépusculaire. Il peint à la gouache une atmosphère de dépérissement. Fin de journée, fin des illusions, fin des corps, fin de civilisation.
Il nous met dans de sales draps, dans l'intimité quasiment gênante de personnalités déphasées à la sexualité souvent douloureuse. Au pieu avec un Batman bisexuel qui ne joue plus de ses poings mais de ceux de ses partenaires pas si pacifistes, fuck ! Devant le miroir de Mystique, face à ses caresses sur des organes transsexuels, fantasmant sur le flic chargé de l'enquête. Chez le sexologue de l'Homme élastique quand il avoue qu'à propos de la longueur de sa virilité, un petit soupçon l'habite.
Assurée par un membre du groupe, Jamie Smith, la production, nue, impudique, touche aux mêmes sphères de frustrations et de jouissances. "Angels" surplombe le monde et sue des mêmes gouttes précieuses qui perlent du sauna à baie vitrée de Red Richards, tout en haut d'un gratte-ciel. Les rêves érotiques de ce dernier s'élèvent et s'interrompent comme les premiers morceaux de "Coexist". Sans haillons ni paillettes, l'extatique mélancolie de "Tides" sillonne les replis d'une couette encore chaude de l'amour. La moiteur tropicale de "Reunion" recouvre ces corps fascinants, changeants, mutants, affamés, affaiblis. Le son de The XX, c'est le flottement de notre époque, ses tentations, ses hésitations, ses divagations, son adaptation. Le groupe distille les mélodies pour en retenir la seule essence, le parfum du Beau au sens baudelairien du terme.
Ces chansons et ce texte... la matière des sentiments.
Les descriptions sensationnelles de "La vie sexuelle des super-héros" sont d'une justesse magnifique et emballées dans un style classieux délectable. Seul problème : je vous conseille de démissionner ou de vous faire virer pour avoir le temps de lire ce livre qui paraît long, très long, (élastique ?) tant l'auteur se confond avec son univers. Ce rythme gluant est toutefois pertinent, collant aux doutes de personnages vieillissants, tranchant avec leur gloire patinée par le cynisme. Mais on parle quand même de Superman, Namor, La Chose ou Mr Fantastic et on aimerait parfois voir l'intrigue enfiler la cape et s'envoler. Si l'ambiance et le mystère s'épaissiront le long de l'histoire, l'action bandera mou, sachez-le. Le sujet est bien la sexualité complexe de corps ambivalents, métaphore de notre monde au destin tiraillé comme le corps de Red Richards entre déchéance et mutation. Un monde où les stars sont de + en + creuses et éphémères et qui se passera peut-être bientôt d'idoles. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Y aurait-il précisément ce même questionnement sur l'avenir de notre civilisation dans la prière finale d'Elaine, la petite amie astronaute de L'Homme élastique : "Ne tombe pas. Ne tombe pas." ?
Après tout le super-héros est christique, un mythe condamné à subir une vie amoureuse contrariée, voire maudite. Toujours entre deux mondes (humanité/animalité, humanité/divinité, humanité/monstruosité ou humanité/nature extraterrestre), il ne trouve jamais sa place affective car il n'est pas entier.
Double.
Séparé.
Ctrl X X, coupés/décollés.
Nous retrouvons là le grand thème du chromosome XX de "Coexist" : l'éloignement, la séparation des êtres qui avaient fusionné, la tentative de réunion dans les poussières spatiales d'une prière.
Je lis en musique. Ceci est mon sort : cette B.O.L. est une hostie, une miraculeuse communion.
En parlant d'anges déchus... :
En parlant de crépuscule... :