Note de concordance : 10/10
Je ne pouvais décemment pas passer à côté.
Premièrement parce que ce blog a pour vertu de s'occuper de la sono des livres, et que cette association nous arrive clef en main : le nouveau disque et la BD qui raconte sa conception. Ou le nouveau bouquin accompagné de sa Bande Originale de Livre, choisissez le sens.
Mais aussi, et surtout, parce qu'en tant qu'ancien lyonnais fan de l'Affaire Louis Trio et de Hubert Mounier (et accessoirement inconditionnel du travail de Biolay), je me régale de cette grande oeuvre à double entrée.
Certes ce n'est pas la première fois qu'un auteur aiguille son lecteur vers un disque précis : nous l'avions évoqué dans un article sur Gunnar Staalesen , et on pourrait également citer la BD "Loser" vendue avec un CD. Il est aussi arrivé qu'un dessinateur glisse ses propres compositions musicales dans un ouvrage. Berberian tourne autour du BOL depuis un bout de temps, avec "Françoise" ou "The Spell" de son groupe Nightbuzz (avec le formidable J-C Denis). Le petit + que propose Cleet Boris (pour les non-initiés, Dr Mounier et Mr Cleet sont un seul et même homme : l'ex-leader de L'Affaire Louis Trio, dessinateur et chanteur), c'est que sa BD parle de l'album, de la composition à la production.
Et l'inverse est presque vrai. Quand le disque parle d'apaisement, d'un havre épais, ou d'un lieu de recueil, le plaisir de dessiner n'est-il pas derrière ?
Cette superbe harmonie, j'ai failli passer à côté. Et j'en ai encore un peu honte. Il suffit d'écouter un album un peu cynique ou branchouille juste avant, de coincer "La maison de pain d'épice" dans un étau, mordu par un The Kills et un MGMT, et on peut se dire que ces chansons ne valent rien, trop désuètes. Que Mounier a perdu le truc. Sans la bande dessinée, j'en serais peut-être resté là. Et là, c'est le drame !
Hubert Mounier a un univers. Un Monde à lui. Fait de fantaisie, de super-héros rigolos, d'aventuriers en yellow submarines, de lasers à rayons XTC, d'une jungle de tendresse - il fallait bien deux oeuvres simultanées pour faire rentrer tout ça ! Et puis il y a l'élégance. C'est cette qualité qui peut faire rater la marche menant aux hauteurs du disque : Mounier peaufine tant sa fluidité qu'au premier abord les chansons semblent simples, banales. Une ou deux écoutes supplémentaires calment vite le petit malin qui le prendrait de haut.
La BD aide donc à admettre qu'il faut rentrer dans ce fameux univers - c'est le carton d'invitation, bien que l'entrée soit libre. Quel plaisir alors de zapper de morceaux en morceaux afin de faire coïncider les cases et les notes, de jouer à reconnaître le titre en train de naître, de croiser Benjamin le génie et Biolay le capricieux tout en distinguant sa patte...
La ligne claire de Cleet Boris est également tout en souplesse. "La maison de pain d'épice" s'écoule, suit son cours tranquille. L'humour déborde, crue de clins d'oeils dans les vignettes. Les dessins, vivants, ponctués d'hommages aux comics de son enfance, sont chargés de symboles ; pluie d'allégories hilarantes.
L'aspect le + intéressant de ce livre, au-delà de l'inventivité narrative, est la découverte de Hubert Mounier, l'homme. L'artiste au quotidien, la gloire déçue, le chanteur indigné de se faire virer par son label, le Capitaine retiré en Ardèche, le type amoureux, le père de famille qui a lutté contre l'alcool. Le leader d'un groupe dont l'un des membres est mort, brutalement. On va sûrement nous repasser l'intégrale des "Jeux de 20 heures" sur France 3 en hommage à Maître Capello, mais les batteurs de groupes qui nous ont fait planer il y a + de dix ans - dix éternités - qui s'en soucie ? Douloureuse info, dignement racontée, contenue dans ce livre... Bronco Jr est mort.
Difficile d'enchaîner après cette phrase qui m'attriste sincèrement. Mais il faut bien que je vous parle des ukulélés, des choeurs divins de garçons de plages, des ponts bossa-nova, des fleurs de xylophone, des accords limpides et intrépides, du soleil pop qui parcellent le disque. Le refrain-killer de "Fatalitas", les réminiscences mobiles des chants de sirènes sur "Triste saison", les paroles affûtées de la chanson-titre, la sollennité d'"Un monde à nous" aux so(m)bres claviers et point d'orgue de l'album, tant de sublimes moments... Fragiles. Discrets. Des moments qui se méritent.
Il y a 17 ans, je rêvais de croiser Cleet Boris dans les rues de Lyon pour lui dire que pour moi "Mobilis in mobile" était le meilleur album en français jamais écrit. Quelques mois + tard, l'occasion s'est présentée quand je lui ai tenu, à lui et à sa petite fille, la porte de la Fnac Bellecour. J'ai enfin pu lui dire ! Avec approximativement ces mots : "de ri... é... Bmm, h...". Il a sûrement compris, non ?
Bref, 17 ans + tard, nous avons les blogs pour nous exprimer. Alors Mr Mounier, je voudrais vous dire : "br... è. Bmm, oo..."
Le single idéal du Dr Mounier :
http://www.youtube.com/watch?v=iiU-gsSqjHY
Et malgré la piètre qualité de la captation, je ne résiste pas à joindre cette rencontre sur scène avec BB, par ailleurs croquée dans la BD :
http://www.youtube.com/watch?v=fvSKBxLD0ZM