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8 août 2014 5 08 /08 /août /2014 16:39
"Dimanches d'août" de Patrick Modiano / Etienne Daho "Les chansons de l'innocence retrouvée"

Note de concordance : 8/10

 

C'est comme un parfum en commun, quelque chose de léger mais prégnant ; c'est la trace de l'invisible. Un lien discret mais entêtant unit le dernier album d'Etienne Daho et "Dimanches d'août" de Modiano.

"La notte la notte", chantait Daho en 1984... Pour ma part ce sont les notes qui vont m'intéresser, la pyramide olfactive de ce parfum latent.

 

 

D'abord, LA NOTE DE TÊTE...

 

Premières effluves, première évidence : Modiano et Daho fréquentent le même tailleur, habillant leur travail d'une semblable élégance. Peut-être une adresse sur la Promenade des Anglais. Oui, l'élégance, c'est la fragrance volatile que partagent les deux artistes. Une classe naturelle déclinée dans leur oeuvre, dans leur comportement, dans leur rapport à l'image.

 

"Dimanches d'août" de Patrick Modiano / Etienne Daho "Les chansons de l'innocence retrouvée""Dimanches d'août" de Patrick Modiano / Etienne Daho "Les chansons de l'innocence retrouvée"

Dire des choses profondes sans jamais trop appuyer, en gardant toujours une touche impressionniste de mystère, voilà ce qu'ils savent si bien faire.

 

Etienne Daho souhaitait initialement signer son album disco. N'en restent finalement qu'un majestueux déploiement de cordes et la guitare funky toujours très chic de Nile Rodgers. Car si le genre disco peut s'avérer attachant, il peut vite basculer dans la vulgarité. Daho en a gardé une essence qui lustre ses "Chansons de l'innocence retrouvée" de la + belle des manières. Son chef d'oeuvre, sans conteste. Sa Riviera.

Des violons dévoués portent l'album, ils amènent "Les torrents défendus" dans des contrées cinématographiques, sublimant ce qui aurait pu n'être qu'une sympathique pop-song. Puis ils couvrent de nuit "Le malentendu". Une nuit d'étoiles mortes. Les cordes se font aussi inquiétantes et profondes lorsqu'elles éclairent "Un nouveau printemps", s'entremêlant dans un baiser insatiable aux autres instruments.

 

Cet aspect intriguant des arrangements classieux embaume le récit de Modiano. Raconté subtilement, comme un chapelet de souvenirs, "Dimanches d'août" fouille la mémoire de Jean, un homme seul qui déambule dans les rues de Nice. Raconté par bribes discontinues, on se demande vite pourquoi le narrateur est seul, lui qui convolait avec la belle Sylvia. Fugitifs oisifs, les deux amoureux se frottaient au frisson de l'aventure, avec en poche La Croix du Sud, un diamant exceptionnel ayant l'éclat du "Baiser du destin"... L'auteur distille savamment les réponses et les zones d'ombres. Le clair-obscur selon Modiano.

 

 

LA NOTE DE COEUR

 

La signature du parfum, son thème principal ; attachons-nous justement aux thèmes abordés dans ces deux oeuvres.

Etienne Daho a souhaité faire un disque sur les exclus. Ceux que l'amour a piégé, ceux que l'exil a repoussé sur les côtés, ceux qui émergent en marge. Dès le morceau d'ouverture "Le baiser du destin", l'humeur dramatique évoque la malchance, les vaines nervures du destin, tandis que "Un nouveau printemps" magnifie les losers. "L'étrangère", capiteux duo avec Debbie Harris (Blondie) parvient à parler avec romantisme et panache de la clandestinité, là où mille autres paroliers larmoieraient.

 

En voilà un beau d'exclu ! Les errances de Jean à l'état de fantôme soulignent sa nature marginale et on l'imagine, l'habit éreinté, tourner en rond - dans les rues, dans sa tête. Déjà dans la fuite à Nice avec Sylvia, Modiano les décrit comme des clandestins. Aujourd'hui embourbé dans la solitude, le narrateur cherche comme nous à savoir ce qui est arrivé à Sylvia, si elle a été victime ou complice des Neal - le couple richissime susceptible de racheter le diamant volé. Du grand Modiaho !

 

Dommage, les élans passionnés entre le photographe Jean et la jeune mariée Sylvia commençaient bien, leur rencontre au bord de la Marne profitait de l'ambiance guinguette bobo de "Un bonheur dangereux". La période d'incubation d'un virus avait pourtant commencé. Tout ne serait-il que mirage ? Où est "Le Malentendu" ? Daho et Modiano sont dans un bateau, ils se posent les mêmes questions.

 

 

LA NOTE DE FOND

 

Les molécules qui fixent les odeurs. La note qui génère le souvenir et l'attachement au parfum.

Les deux oeuvres, trempées de sud, respirent les mêmes épices de mélancolie. Si le chanteur répète volontiers que le titre de son album, inspiré par la poésie de William Blake, fait référence à un état de grâce et de quiétude, il n'en est pas moins imbibé d'un délicieux poison. Son regard est tendre mais triste.

 

Il y a une dimension littéraire dans "Les chansons de l'innocence retrouvée". On a presque affaire à de petites nouvelles musicales. Et le sommet, que dis-je l'Everest, que n'ai-je déprécié l'Anneau de Saturne du disque, c'est "L'homme qui marche".

Si l'on devine les traces de pas de "L'Etranger" de Camus, la chanson écrase de son soleil noir la trajectoire biaisée de Jean dans "Dimanches d'août". Le morceau tend une arche tourmaline entre John Barry et Alain Bashung. "Comme le héros d'un livre qui ne souffrirait plus du froid/l'homme qui marche devant moi, est-ce moi ?" chante Daho, qui pourrait décrire le niçois. La recherche de soi, l'identité trouble, c'est aussi le terreau de Modiano, ici comme ailleurs dans sa bibliographie.

 

En ne levant pas tous les mystères, en ne mettant pas les points sur les i, l'auteur laisse le lecteur combler les trous, mettre les derniers coups de pinceaux et ainsi nous glisse dans la peau de son narrateur. Un goût d'inachevé tellement humain...

 

Le souvenir, la mélancolie, mais aussi l'oisiveté reviennent beaucoup chez Modiano. L'inactivité (dimanche et août : des segments de temps liés au repos) est décrite comme un bonheur portant les germes de la lassitude et de l'ennui, comme si rien ne pouvait durer... Comme si l'innocence retrouvée était vouée à être reperdue. C'est sur cette lucidité que poussent les fleurs de la mélancolie.

"Dimanches d'août" de Patrick Modiano / Etienne Daho "Les chansons de l'innocence retrouvée""Dimanches d'août" de Patrick Modiano / Etienne Daho "Les chansons de l'innocence retrouvée"

Une bonne Bande Originale de Livre, comme pour un film, souligne l'action, accompagne le récit, renforce voire instaure une ambiance. Une très bonne B.O.L. tend une passerelle entre le livre et le disque, le nourrit autant qu'elle semble s'en inspirer, fait naître des images qui se répondent. Ce sont les deux faces d'un vinyl qu'on jouerait en même temps. Les histoires de Daho et de Modiano se superposent. Elles se croisent au coin d'une rue, partagent un chemin, se séparent et se retrouvent.

C'est le va-et-vient des émotions, leurs émanations...

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