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15 janvier 2014 3 15 /01 /janvier /2014 14:39
"Falaises" d'Olivier Adam / Gonzales "Solo piano"

 

Note de concordance : 9/10

 

L'ivoire, l'ébène.

La craie, la nuit.

Et des images qui font surface par petites touches.

Une parfaite Bande Originale de Livre en noir et blanc, où les pièces instrumentales de Gonzales suivent les mêmes crénelages dramatiques que le récit d'Olivier Adam. Un pianiste, un homme en deuil, deux ombres chinoises dans la solitude.

 

Je ne vous cache pas que cette expérience de lecture en musique n'est pas celle qui m'aura fait le + marrer. Mais mon banquier, c'est moi ; c'est moi qui décide où j'investis mon capital émotion ! Oui, vous l'avez remarqué, une publicité pour une banque a mis le grappin sur "Gogol", formidable morceau d'ouverture de "Solo piano".

Qui aurait cru avant 2004 que le producteur un peu frappé, qui a tutoyé le R'n'B et le hip-hop, qui a façonné des sons pour Peaches ou Feist, viendrait écrire une œuvre contemporaine majeure avec son seul piano ? Qui aurait cru que l'homme qui fait ses concerts en charentaises finirait carrément à poil sur cet album dépouillé de tout artifice ?

 

Ainsi Gonzales enregistre-t-il seize titres homogènes, une musique de chambre qu'on a forcément envie de comparer au "Clair de lune" de Debussy et surtout à Erik Satie, "Gymnopédie" en tête. Les micros placés au + près des pédales dont on entend l'action, l'intimité entre l'auditeur et le pianiste devient le nerf de l'album. La subtilité inouïe de Jason Beck (alias Gonzales) fait de chaque note une bulle. Des bulles... Qui remontent comme les souvenirs d'Olivier, le narrateur de "Falaises".

"Falaises" d'Olivier Adam / Gonzales "Solo piano""Falaises" d'Olivier Adam / Gonzales "Solo piano"

Olivier est au bord des falaises d'Etretat, la nuit. C'est ici même, depuis cette côte de Haute-Normandie, que vingt ans + tôt sa mère s'est jetée. Derrière Olivier, sa femme et sa petite fille dorment à l'abri du vent. Devant Olivier, le vide se remplit de souvenirs terribles. Une mère à la dépression violente, une famille dévastée par son suicide, un père ignoble qui humilie ses fils, un frère qui fuit sur les premiers chemins dérobés qu'il trouve, donc les pires, et j'en passe... Chez cet auteur, trois malheurs n'arrivent jamais seuls. L'accumulation des tragédies désespère vraiment, d'autant que le flou sur l'aspect autobiographique de l'œuvre est épais.

 

L'écriture d'Olivier Adam est épurée, mais pas austère pour autant. S'il était musicien, il pourrait signer un disque comme "Solo piano". Avec des mots simples, des phrases fluides, il peint des images fortes, des réflexions existentielles à la justesse cassante, des émotions soufflantes. 

 

"Falaises" d'Olivier Adam / Gonzales "Solo piano"

Et lorsqu'on a envie de lui dire que trop c'est trop, que cette surenchère de malheurs étouffe le lecteur (je le répète "Falaises" sur-plombe !), il a l'intelligence de placer une virgule de sérénité : l'image de sa fille endormie. Il inverse ainsi les éclairages de bien des romans qui s'ouvrent sur le drame final et racontent dans un flashback fatal comment on a pu en arriver là. Cette fois c'est le bonheur qui dès le début est décrit comme atteint, à portée de coeur, alors que les épreuves qui attendent le héros semblent le rendre inexorablement inaccessible.

 

Face à la déferlante de désastres, la musique du géant canadien produit un petit miracle : bien que triste, elle demeure volatile. Gonzales a la mélancolie légère. Il n'ennuie jamais ; il ennuite, il enroule dans la nuit. "Overnight" et ses notes disséminées au gré des fugues nocturnes en est un exemple, mais on pourrait également citer le splendide thème de "DOT", "Basmati" ou "One note at a time" et sa répétitivité presque angoissante. Lorsqu'il trinque avec des ambiances un peu jazz (la sautillante "Oregane", "Meischeid"), je me retrouve à Etretat, dans un salon de cette riviera du nord, sur les côtes normandes.

"Falaises" d'Olivier Adam / Gonzales "Solo piano"

A Etretat s'engouffre "le trou à l'homme", une grotte érodée par la mer. Celui du narrateur est creusé par la mère. Quant à l'aiguille qui jaillit des eaux noires, elle serait la figure menaçante d'un père violent. Les falaises de craie d'Olivier Adam ne sont évidemment pas anodines. Escarpées, intimidantes et fatales, symbole évident du gouffre qui aspire la vie du narrateur depuis son enfance, elles ont un rôle ambigu. Comme toutes les limites, on ne sait si leur grandiloquence protège du vide ou nous entraîne dedans. Le héros apprend à vivre face à l'abîme, à vivre avec la fragilité du monde, à se délester du poids des morts. Blessé mais vivant... un deuil aux bords noirs.

 

"Armellodie" vacille entre tristesse et sérénité et résume bien Olivier, un homme meurtri par les pertes et dont les cicatrices inaltérables se referment doucement. Quand j'entends les mains baladeuses du virtuose se délecter des touches de son piano, non, je ne pense pas à une publicité bancaire mais aux "Falaises" d'un écrivain français saillant. Entre un piano couleur de l'os et des mots couleur de l'eau s'est établi un joli dialogue nocturne.

 

Je me réjouis de découvrir l'adaptation imminente en bande dessinée du roman par Thibault Balahy et Loïc Dauvillier, et de la lire sur les mêmes airs de piano.

 

                                             

                                               

"Falaises" d'Olivier Adam / Gonzales "Solo piano"
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