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23 novembre 2013 6 23 /11 /novembre /2013 14:39

 

Note de concordance : 8,5/10

 

Sur les podiums de la haute couture, les lignes et les courbes les + élégantes défilent en musique. L'écriture raffinée de Jean-Philippe Toussaint se devait d'avancer le long des cordes du surdoué Sébastien Tellier, le barbu le + talentueux depuis Bud Spencer.

 

"Confection" est un disque que le multi-instrumentiste considère comme la bande originale d'un film imaginaire. Il n'en fallait pas + pour que je le raccommode à "Faire l'amour", premier des quatre livres du cycle MMMM (Marie Madeleine Marguerite de Montalte) qui suit les amours tumultueuses entre le narrateur et une créatrice de mode - et éloigne Toussaint de sa veine humoristique.

 

Débarrassé de sa navette spatiale de gourou discoïde, Sébastien Tellier, lui, laisse en coulisses son second degré et ses grandiloquences digitales. Il épure ses compositions top model et les habille d'arrangements cristallins. Homogène, mélancomique, touchant, l'album a la + belle des silhouettes.

 

Tellier, messie si mi ré

Tellier, messie si mi ré

 

Fait de variations autour d'une poignée de thèmes, "Confection" suit une forme circulaire. Les mélodies viennent et reviennent, s'enroulent autour d'une "Waltz" gaguesque, déclinant quelques motifs ("L'amour naissant", "Coco", "Delta", "Adieu", ...) comme les circonvolutions d'une ritournelle. Tout d'ailleurs ramène à ce titre incontournable de Sébastien Tellier : les mêmes musiciens ont été réunis pour mieux ressusciter le son du tube "La Ritournelle", Tony Allen à la batterie, Rob aux claviers entre autres. De fait, "L'amour naissant III" est la dernière ondulation aquatique produite par la goutte originelle de ce classique parfait de 2004. Des percussions qui battent des ailes, un piano qui fait ricocher les notes, et des nappes de violons qui sillonnent la surface des mélodies.

La sensualité est au cœur de ces morceaux presque intégralement instrumentaux. Un parfait drapé pour "Faire l'amour". Le roman de l'auteur belge décrit et décrypte une rupture entre deux êtres qui s'aiment mais ne se supportent plus.

 

Ils arrivent à Tokyo pour présenter la nouvelle collection de Marie, mais dans leur chambre d'hôtel luxueuse ils déchirent et rapiècent et déchirent leur amour. En décalage horaire, en décalage tout court. Une relation en jet-lag. Ni les ruées romantiques sous la pluie japonaise, ni le désir de faire l'amour comme si c'était la dernière fois, ni les amusantes lunettes de soie de la Japan Airlines qui confèrent à Marie la mou d'Adjani, ne suffiront à soigner la fracture.

 

Toussaint ne s'attarde absolument pas sur les causes des disputes, tellement banales. Il s'en secoue, c'qu'on s'en moque, c'est la secousse sismique qu'il décortique : la Rupture. Et la terre tremble littéralement à Tokyo, générant de nouvelles tensions intimes dans le couple. L'île est présentée sous son aspect instable, constamment menacée par la tectonique des plaques. L'auteur multiplie les mises en scène ambiancées par les variations : de couleurs, de températures, ou même des va-et-vient dans l'espace. Les lumières de Tokyo clignotent sur tout le livre, la clim de la chambre fait des caprices - chaud et froid. On sent l'instabilité, l'incertitude, les hésitations du destin. C'est la nature même d'une séparation. Aussi radicale soit-elle, une rupture n'est pas abrupte, elle prend forme par à-coups, se digère au fil du temps.

"Faire l'amour" de Jean-Philippe Toussaint / Sébastien Tellier "Confection"
"Faire l'amour" de Jean-Philippe Toussaint / Sébastien Tellier "Confection"

 

 

 

"Rompre, je commençais à m'en rendre compte, c'était plutôt un état qu'une action, un deuil qu'une agonie."  Le héros n'a d'autre perspective que d'attendre que la douleur passe, d'où ce refuge chez un ami de Kyoto aux allures de désintox. Pas étonnant alors qu'on sente le temps passer, qu'on sente la relation lentement se défaire. On pourrait croire que ce roman a influencé Sofia Coppola tant l'ennui, la fatigue, la solitude des grands hôtels et l'exotisme de la culture japonaise évoquent "Lost in translation", sorti un an après. Réduisons les degrés de séparation : on entend du Sébastien Tellier dans ce film.

 

L'écriture de Toussaint est appliquée, parée de sensualité. Ses phrases longues nous entraînent, nous encerclent, nous lovent autour de son thème, irrésistiblement. Comme dans "Confection", la figure circulaire s'impose. En revanche, la forme tranche avec le fond : la froideur de l'analyse, l'absence d'explications, l'abstraction de l'histoire, la faiblesse des enjeux. De quoi rendre bien difficile l'attachement aux personnages dont on sait si peu. Une impression un peu vaine...

 

On est heureusement ponctuellement intrigué par ce mystérieux flacon d'acide chlorhydrique que le narrateur garde toujours sur lui. Que compte-t-il en faire ? Que symbolise-t-il ? On peut penser qu'il représente l'essence même de la tension électrique, la charge de violence émotionnelle qui naît de sa relation avec Marie. De la pure friction.

 

Je me permets de spoiler, les atouts du roman se situant dans sa verve plutôt que dans son intrigue. Dans une très jolie scène finale, l'amoureux transi finira par dévider l'acide sur une fleur belle et innocente, à la fois portrait de Marie et de Dorian Gray.

Une jeune fleur sauvage et délicate, comme un amour naissant...

 

Les mélodies arrache-coeur filent sur le manège de Sébastien Tellier, vont et viennent comme une collection automne-hiver, comme les amours crevées de nos héros. Au passage, "Faire l'amour" est la partie "hiver" de la tétralogie de Toussaint. La pluie et la neige y sont omniprésentes, décors cinémascopes pour des scènes au romantisme exacerbé que les cordes des "Delta" tirent encore + haut dans l'émotion. L'ivoire à travers les larmes, "Curiosa" sonde les heures les + introspectives, les failles les + désespérées du roman. Les synthétiseurs d'"Hypnose" s'élèvent comme les tours hi-tech de Tokyo tandis que l'orchestre cosmique dessine un ciel triste aux amoureux. Les "Coco" et "Amours", + légers ravivent la passion qui a consumé ces deux êtres.

 

On n'est pas loin de la symbiose totale entre ces deux oeuvres, tristes bal(l)ades lancinantes, aux notes d'espoir parsemées, aux envolées romantiques puissantes. Elles s'élancent dans la même chevauchée éperdue. "Confection" souffle les vagues à slam des écrits de Toussaint. Cette B.O.L.  résistera-t-elle au temps ? Sans aucun doute. Après tout, trois saisons attendent encore leur tour, Marie reviendra...

 

 

 

A noter que la dessinatrice Tamia Baudouin propose des planches adaptées de "Faire l'amour" sur son blog.

 

Personne ne m'en voudra de réinjecter une petite goutte d'Eden, "La Ritournelle" :

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