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28 juillet 2011 4 28 /07 /juillet /2011 21:12

la-princesse-des-glaces.jpgaswefall

 

Note de concordance : 8/10

 

Comment allier le froid et le chaud sans devenir tiède ? Un enjeu de taille...

La solution de Camilla Läckberg : enfouir son intrigue sous une neige glaçante mais parler de sentiments, et glisser sur une histoire d'amour plutôt que sur du verglas.

Celle d'Aswefall : utiliser les codes cold-wave mais compter sur la chaleur d'un dance-floor pour remonter le mercure.

 

Ce qui intéresse Camilla Läckberg, à l'instar d'Erica, son héroïne et alter-ego écrivain, ce sont les structuresCamilla Lackberg psychologiques qui mènent à une personnalité et aux relations humaines. L'affaire policière est quasiment un prétexte pour étudier diverses tensions familiales, ainsi que les faisceaux de l'amour. Car Erica Falck est une biographe qui marche dans les pompes de Bridget Jones ! Un petit bourrelet de complexes et quelques kilos de loose en trop.

 

Ce n'est pas tant sa liaison distrayante avec un policier qui fonctionne le mieux avec la musique stressée d'Aswefall, que l'enquête, évidemment. Car Erica découvre le corps d'une amie d'enfance dans une baignoire glacée. "La Princesse des glaces". Un suicide aux reflets de meurtre. Assez naturellement, elle va gratter, fouiller, régulièrement devancer la police suédoise.

L'ambiance des grandes maisons de bois, des demeures bourgeoises, des salons saturés de secrets s'épaissit de mystères grâce au son caverneux d'Aswefall.

 

Le duo electro parisien (mais si l'on veut être précis, franco-suédois, ce qui donne une caution supplémentaire à cette Bande Originale de Livre) creuse dans le dur une musique aux sombres projections. Avec une grande place accordée aux plages instrumentales, les synthés tétanisent des mélodies sous-jacentes, qui jaillissent parfois de nulle part, comme les secrets mal enfouis.

Aswefall n'est pas groupe à se vautrer dans la facilité. Ils auraient pu reproduire à l'infini leur tube embarqué sur une pub Air France, "Between us" - http://www.youtube.com/watch?v=GrYCh9L3w94. Comme ils auraient pu recycler à l'infini le son de The Cure, influence majeure et ô combien bienvenue ; "Memphis", longue et majestueuse comme une traîne aswefall duode mariée en pleurs, est d'ailleurs un hommage humble et chaleureux à "All cats are grey". Clément Vaché et Leo Hellden préfèrent gratter, fouiner, régulièrement devancer leurs confrères de toutes origines !

Avalés, assimilés, digérés les claviers de Depeche Mode, la basse de Simon Gallup, l'ambient de Brian Eno, Einaudi et ses silences... Et c'est au fil d'un étrange blizzard synthétique que de plastiques beats imposent une cadence, une urgence à "Fun is dead". Des molécules de notes séminales gouttent le long des morceaux, en transparence - naissance d'un monde cristallin qui parasite l'austérité.

 

"Fun is dead" respire la sortie de club, la porte du videur qui assourdit les derniers tambourinements, les oreilles qui sifflent, les jambes lourdes, la sueur qui se fige autour du corps, l'aube timide. La nostalgie et le plaisir se saluent. C'est l'heure à laquelle le spleen et l'excitation se croisent sur le même trottoir.

 

L'heure d'Erica, justement. La jeune femme culpabilise. Elle devrait se morfondre d'avoir trouvé son amie morte, même si elles ne se fréquentaient plus. Au lieu de cela, cette énigme stimule ses élans d'écriture. Essor vulturin, inavouable.

Des cadavres, des disparitions, un père inconnu, un peintre maudit, une adoption trouble, bien des mystères à dépêtrer... Pour + de réalisme, L'auteure passe souvent le relais de l'enquête à un jeune policier qui devra extirper des ténèbres les nombreuses révélations chocs de cette histoire. Cela ne suffit pas à combler quelques faiblesses dans le récit. La fameuse technique du délai pour maintenir le suspense ("oh, je trouve une lettre primordiale et la fourre dans ma poche, mais je l'oublie et n'y repense que trois chapitres + tard !") est quand même à pleurer de rire. Allez, ce sera tout pour les critiques car la psychologie des personnages est fort bien décrite, et il faut du talent pour le faire sans ennuyer le lecteur. Quant aux filasses de l'intrigue, elles sentent le drame et le renfermé. Tout ce qu'on aime dans le polar scandinave.

 

Ajoutez-y la couche de glace bleutée d'Aswefall pour parfaire la lecture. Leur electro minimale et audacieuse ponctionne la moelle des 80's sans jamais déborder dans d'insoutenables sonorités fluorescentes. C'est la luminescence d'une crypte. 

Inventif, remuant, exotique, ce sublime album investit les neurones aussi bien que Camilla Läckberg. 

 

L'inquiétante et très adaptée "Shadows of love" :

http://www.youtube.com/watch?v=cKhGvPhJcUU

 

La magistrale "Exotica", et sa production de tueur en série !

http://www.youtube.com/watch?v=UaI4kxQ5UR8

 

 

 

 

 

 

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13 juillet 2011 3 13 /07 /juillet /2011 18:58

Vargas - l'arméeYann Tiersen

 

Note de concordance : 8/10

 

Le commissaire Adamsberg avance son regard suspicieux et ses pas lents sur une scène de crime. On l'imagine bien volontiers la gueule froissée et le pantalon mal rasé. En guise de pré-générique, il va nous résoudre une affaire, en un chapitre, à sa manière, en s'attachant à des miettes. Mi-loser mi-génie, mies de pain manquantes... affaire bientôt classée. Quelques bruits de bricoles chez Tiersen, et la cavalcade "Western" commence, parfaite ouverture pour notre héros malgré lui malgré tout. Cette pièce musicale enjouée qui panache xylophone, cordes et guitare donne le ton d'un Vargas : la légèreté le dispute à la mélancolie, un faux rythme pousse les enquêtes, et la complexité monte en puissance.

 

Générique ! : http://www.youtube.com/watch?v=_HWK1TzDISY

 

tiersen

 

Pas évident du tout de tapisser un disque dans le décor de Fred Vargas. Trouver une B.O.L. pour "L'homme à l'envers relevait déjà du miracle et j'ai bien cru que "L'armée furieuse" allait me sécher ! J'ai dû fouiller un moment dans les tréfonds de mon I-Pod pour trouver le seul album que je voyais apte à tenir le crachoir aux fameux dialogues plantureux de l'auteure : "Les retrouvailles".  "Western" étant précisément la clef.

La lecture pouvait se poursuivre...

 

Une petite femme fragile va intriguer le commissaire en lui parlant d'une légende normande, l'Armée furieuse, à laquelle sa fille est mêlée. En menant de front son enquête parisienne en cours, ainsi que l'affaire normande, Adamsberg collectionne les gros ennuis et les fautes professionnelles. C'est pour ça qu'on l'aime.

Les personnages de Fred Vargas sont de + en + improbables, ils ont tous un trait de caractère étonnant disproportionné. Mais si le réalisme du récit en prend un sacré coup dans le coin de la face, savourer l'érudition sans limite d'un Danglard aigri, le gigantisme protecteur de Violette Retancourt, ou les mots à l'envers d'un homme à six doigts (sniatrec xuaevrec ne tnos selbapac), se révèle être un plaisir bien suffisant pour compenser ce "travers".

 

Ce flottement dans le réalisme va de toute façon permettre à Vargas d'évoluer entre le polar et le fantastique. On ne voit pas comment les meurtres qui s'accumulent dans le petit village d'Ordebec pourraient être déconnectés de cette malédiction ancestrale, cette armée des morts qui désigne et condamne les hommes mauvais. Ambiance chargée, sur les chemins de forêt qui sortent tard de la nuit...

 

Vargas cigarette                                Tiersen cigarette

 

Yann Tiersen a souhaité s'éloigner de la ville pour enregistrer "Les retrouvailles". On y respire un vent de liberté, celui de sa chère Île de Ouessant, dont les dernières bouffées atteignent la Normandie de Vargas.

Il est facile de s'enfermer derrière les cordes d'une harpe, sous la lourdeur d'un orchestre ; la force du breton est d'utiliser une orchestration extraordinairement riche de façon légère. Les instruments, aussi nobles soient-ils, sont au service de l'artiste et de sa chanson. L'inverse, on laisse ça aux pompeurs pompiers.

 

Place alors à l'humain, à la fragilité, aux fêlures (la voix sur le fil de Jane Birkin, les guitares et les notes approximatives du trio mythique Tiersen / Miossec / Dominique A,...), aux bruitages d'ambiance, aux rires d'enfants, autour desquels courent cordes ou pianos. Place aussi aux bal(l)ades champêtres au clavecin (le morceau-titre, réminiscence d'Amélie Poulain) ou à l'accordéon ("La veillée", dont le petit feu tiendra compagnie à Adamsberg pendant ses planques).

 

Le traitement des violons, en contrepoint des arpèges, crée une attente, une concentration. "A secret place" en est le meilleur exemple : l'invité Stuart A. Staples (leader majestueux de Tindersticks, lui aussi exilé dans la campagne française d'ailleurs) tatoue ces tensions musicales de son timbre profond et marque le théâtre vargasien de son sceau.

 

Yann Tiersen marie miraculeusement intimisme et bravoure, parvient à faire monter une sauce bien à lui, cette musique dont votre cœur va finir par suivre les battements, ces chansons qui s'emballent sans jamais tomber dans la démonstration. Essayez donc de composer de tels morceaux sans ressembler à du Calogero (ok ok je sais, il y a largement pire, mais ma cervelle n'a que lui sous la main pour l'instant. Je vous tiendrai au courant si je trouve mieux) ! Peu naviguent aussi bien entre instruments à cordes, à vents et marées de guitares.

 

La tristesse prononcée d'une partie des chansons ne correspond pas toujours au récit mouvementé, mais à l'esprit fugueur du commissaire, oui. Les pensées toujours aux vents ; un bout de neurone pour disculper un petit incendiaire qu'il croit innocent, un fil d'idées pour retrouver le salaud qui torture les pigeons, une cellule grisée pour dénouer les meurtres dOrdebec, un nerf optique obtus pour plonger dans le décolleté de la témoin... Dissolu, le bonhomme.

La cohérence de Fred Vargas l'est un peu, aussi, dissolue. Systématiquement imaginer un lien entre des affaires distinctes, quand bien même fût-il infime, nuit à la crédibilité. Articulations hautes en couleuvres ! Mais là encore, on l'excuse. L'empathie aux personnages est trop puissante pour faire la grimace. L'écrivain connaît sa force et en joue, à raison.  

 

Jubilation communicative ! Elle se fait plaisir en insérant un road-movie digne de "L'homme à l'envers" au milieu du livre, crée toute une fratrie de freaks suspects, met l'accent sur une accusation qui renifle le coup monté - on pense forcément à l'affaire Césare Battisti dans laquelle elle a pris parti - et déterre les superstitions de ses campagnes.

 

Mysticisme, terres sauvages et vie quotidienne... Autant de thèmes communs au roman et au disque. De beaux échanges ont lieu tout au long de cette promenade dans le nord de la France ; d'est en ouest, bercé par les mots et les notes, fasciné par la cohorte médiévale et sonique, les embruns de chacune de ces œuvres ont plu dans ma tête.

 

Emouvant de voir le Grand Stuart en studio avec Tiersen :

http://www.youtube.com/watch?v=fLUWiIVjz5w 

 

Un peu d'action, avec "La boulange" :

http://www.youtube.com/watch?v=6mkaCcMSXFA

 

 

P.S. : ça y est, ma cervelle en a un pire sous le coude maintenant. Stanislas. On lâche des noms chez B.O.L. !

 

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3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 09:52

descenteBonobo-Days-To-Come

 

Note de concordance : 7/10

 

Je tiens là une nouvelle illustration de l'intérêt de la Bande Originale de Livre.

Oui, souvent, la musique veille sur les personnages, souligne l'action, fait monter la pression, édulcore les situations, transcende le récit. Si vous ne me croyez pas, après bientôt 30 articles... je lâche l'affaire ! Ah, c'est juste que vous n'arrivez pas à lire et écouter de la musique en même temps ? Je sais, je sais, vous me le dîtes tout le temps, je vous crois. Je dois être fait bizarrement. Encephalosplité...

Dans le cas de "Descente aux enfers", cependant, la B.O.L. m'est apparue indispensable pour sauver cette lecture ! Car non, je n'ai pas tellement aimé ce livre, et n'aurais sans doute pas suivi Bevan au bout de son enfer sans l'aide de Bonobo.

 

Plutôt qu'une immersion dans la moiteur de la Jamaïque des années 50, on s'embourbe dans les pulsions destructrices d'un courtier de Wall Street alcoolique. Le couple qu'il forme avec Cora, à une étincelle de l'implosion, a débarqué à Kingston pour un peu de repos. Mais Bevan va trouver là, dans ce pays aux règles rares et souples, l'occasion de s'extraire un peu mieux encore du carcan social qui l'asphyxie.

 

Je dois le maintien du plaisir de lire ce roman à l'exotisme de "Days to come". C'est la musique qui a sculpté un relief à la forme assez plate choisie par Goodis. Simon Green (alias Bonobo) semble créer sa musique comme un enfant joue aux Playmobil : il prend toutes les pièces qu'il a sous la main pour disposer le tout en harmonie, en déplaçant ses sujets - qu'il possède en nombre - pour voir ce qui rend le mieux, en osant des mariages incongrus. Jusqu'à ce que ce petit village tienne debout.

Le trip-hop coloré se voit alors cohabiter avec des percussions world et un violon badin. Tiens, et là, si on mettait un peu de funk acoustique ? A la fenêtre de "Nightlite", une cuica brésilienne pointe le bambou de sa queue. Un jazz cuivré rencontre la joie de vivre africaine sur le bord du chemin ("Transmission 94"). Le blues est cerné par une soul sensuelle que la voix de l'invitée Bajka diffuse sur un tiers de l'album ; les instrumentaux prennent le relais et faciliteront même la lecture aux + récalcitrants à la B.O.L. !

 

Comme on écarte un rideau de porte tropical, l'intro du disque et sa flûte funky flanquée d'ivresse saluent l'arrivée de Bevan dans le bar le + glauque des faubourgs de Kingston. Où l'on s'assomme autant aux alcools frelatés qu'aux mauvais coups. Le muscle lourd, la tête comme un tonneau de rhum en milieu de soirée, il s'extirpe d'une bagarre. Puis une agression l'attend. 1-0. Il l'emporte face à l'antillais, largement, d'une bonne longueur de tesson dans la gorge d'avance...

L'étrange cocktail de sentiments (1/3 de culpabilité, 1/3 d'indifférence bien mûre, 1/3 d'autodestruction, un soupçon de la part d'un maître chanteur) va longuement étuver sous le soleil jamaïcain - sous le downtempo entêtant de Bonobo. David Goodis a lui-même eu un parcours qui immanquablement fait penser à son héros : quelques romans à succès, un début de carrière à Hollywood, un court contrat avec Warner, puis une lente chute vers le quasi-anonymat et la déprime.

goodis 1                            goodis 2

C'est vrai qu'il a pas l'air bien, le pauvre...

 

A la lueur de cette vie solitaire, on ne peut s'empêcher de penser à ce triste destin lors de la scène la + réussie du roman, quand Bevan se débat dans une fosse de boue, noyé de chagrin et d'eau brune. Une eau épaisse qui aura pourtant le goût de la vie. Idéal avec les ébats rythmiques tendus d'"On your marks".

 

La fin de "Descente aux enfers" est supérieure au reste. Sa noirceur prend enfin des reflets. En attendant, des titres grinçants comme "The fever", ou intenses comme "Nightlite", auront donné de la substance aux nuits blanches de Bevan. Bonobo, l'orfèvre du label Ninja Tune, armé de ses beats au couteau, a taillé un costard tout en sueur au héros, offert une ambiance torride et une profondeur au tableau sans ligne de fuite de Goodis. Trempé ce récit dans 90% d'humidité. Transmis la fièvre.

 

Les ébats sus-cités :

http://www.youtube.com/watch?v=oJW81niQS0I

 

L'intensité sus-citée, en live at Koko :

http://www.youtube.com/watch?v=oRGAveBCtmE

 

 

 

 

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24 juin 2011 5 24 /06 /juin /2011 07:12

ToXicradiohead

 

Note de concordance : 7.5/10

 

Mode d'emploi :

 

Partie 1

 

a) A l'orée de la sieste, ouvrir les pages de "ToXic" et laissez le parfum enivrant des cases embrouiller les fils de votre tête. Les images vous embobinent, arachnéennes. Laissez-faire ; laissez-reposer.

 

b) Tombez de cases en cases en cascade. Kafka rampe sous les planches somptueuses de ce récit labyrinthique. Abandonnez-vous aux dessins qui se font écho, à cette rivière omniprésente qui trimballe un tas de déchets toxiques et mentaux, aux scènes qui s'emmêlent dans un grand baiser lynchien.

 

c) Soyez déroutés.

 

d) N'ayez pas peur, ce cauchemar n'effraie pas. Charles Burns titille les sens, c'est tout. Si ce personnage perdu croise des larves peu ragoutantes, accrochez-vous à l'idée qu'il s'agit d'une version moins figée de Tintin, un Tintin perdant son innocence d'un chapitre à l'autre. Un aventurier de l'onirisme qui explore ses malaises pour mieux leur échapper ?

 

 Toxic1         Toxic2

 

e) Savourez ces mondes parallèles qui se perpendiculent, les visions obsédantes de Doug à différentes périodes de sa vie dont il ne se rappelle que le présent. Ses pérégrinations répétitives intriguent... Comme un disque rayé dont le diamant trouverait de nouveaux sillons sous le vinyle.

 

f) Faites-vous à l'idée que le monde s'effrite. Qu'il faut faire avec. Que c'est quand même notre monde et qu'il faut l'aimer malgré tout. Tout ici est pourrissant, mais la moisissure c'est de la vie. Comme ces œufs-champignons-fœtus protéinés que mange Doug. Ce récit circulaire aspire à sentir la spirale d'un monde qui change.

 

 g) Armez-vous de patience, une bonne artillerie, car Burns bouscule le temps mais ne se précipite pas. La suite de "ToXic" viendra. Mais on ne sait quand et on ne sait quels chemins l'auteur prendra... La science-fiction, l'innocence perdue et l'adolescence - thème cher à Charles Burns si merveilleusement transcendé dans "Black Hole" - l'hommage à un autre auteur qu'Hergé, une réflexion sur la mémoire et le temps, la rationalisation, un conte de fée... ? Tant d'ouvertures qui peuvent donner sur n'importe quoi, comme la fissure dans la chambre de Doug...

 

 

Partie 2

 

a) Au crépuscule de l'éveil, plantez les graines de "The King of limbs" dans vos oreilles. Les sons, fantasmorganiques, vont s'enraciner dans votre cerveau. Ne rajoutez pas d'engrais, Radiohead, en surstock, en met toujours une bonne dose naturelle. 

 

b) Le train se met en route avec "Bloom" - rythmique locomotive... Les rails se croisent et s'entrecroisent, les lignes musicales se superposent, en canon. La voix de Thom Yorke se fait écho. La vie précède la naissance, la mort donne vie, le temps n'a plus de sens, n'est plus qu'un espace, un océan que Radiohead noie (oui, ils en sont capables : après les Chuck Norris Facts, les Radiohead Facts).

 

c) Soyez déroutés.

 

d) N'ayez pas peur, ce disque n'est pas si hermétique. Les Radiohead sont des aventuriers, il faudra toujours les suivre dans des explorations. Les paysages vierges et les sensations nouvelles se greffent violemment aux terres connues - il faut bien avancer, ne pas se figer. On se familiarise aux rêves communs des cinq d'Oxford, en suivant les branchages touffus de leurs compositions.

 

e) Comme un disque neuf dont le diamant creuserait de nouveaux sillons au fur et à mesure. Les audaces électro de Thom Yorke et sa bande se dévoilent par couches, fascinantes métamorphoses... Glissez-vous dans l'interstice des notes obsessionnelles de "The King of Limbs", et remontez des feuilles à la racine, ces mélodies aqueuses.

 

f) Faites-vous à l'idée que le monde s'écroule. Ou qu'il mute. Une peau de serpent que le groupe s'affaire à contempler, à imiter. Leur musique en constante révolution n'est rien de moins que celle du monde qui renaît, tremble, s'autodétruit, dans l'ordre que vous voulez.

 

g) Armez-vous de patience, toute une armada, car c'est au compte-goutte que Radiohead délivre ses chansons depuis quelques temps - la sève est précieuse. Un 45T d'inédits par-ci ("The Butcher/Supercollider"), un téléchargement par-là, un titre inédit en live au milieu : quel est leur projet, finalement, pour écarter de l'album une chanson aussi réussie que "Staircase" ?. La rumeur d'une deuxième partie à "The King of limbs" a bien du mal à s'éteindre...

 

http://www.youtube.com/watch?v=tFTLxkMmY4M

 

   

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28 mai 2011 6 28 /05 /mai /2011 14:53

connardBlack Keys

 

Note de concordance : 7,5/10

 

 

Le livre est en travaux, la lecture entravée de frustrations.

Le disque est en chantier, l'écoute enchantée de riffs souillons.

 

Vous ne trouverez donc pas ce livre en magasin, même dans votre meilleure librairie, ni même à la Four letters word ! Du moins pas encore. Car s'il fallait miser sur l'émergence d'un talent, comme on met des sousous sur les poulains de MyMajorCompany, c'est sur ce faux tocard dit "Loser" que je plaquerais tout mon pécule.

Rendez-vous donc sur le trépidant site Atramenta (www.atramenta.net) pour découvrir gratuitement le feuilleton "Connard" (la saison 1, le début de la 2, le cross-over "Happy Meal").

Savourez cette gratuité : si le monde est bien fait, vous devrez vite payer pour lire Loser Esteban. Quoique... comme ce dernier s'acharne à nous prouver que le monde est mal foutu, l'Homme bancal... allez savoir. 

 

Les mots du Loser sentent le soufre. Il fixe les travers humains à la perceuse, dans un nuage de poussière ferreuse ; je me doutais qu'il viendrait se coller au son graisseux des guitares de The Black Keys. Le duo semble avoir eu peur de tourner en rond dans leur Ohio natal, ils ont donc pour leur sixième album ouvert la porte à quelques courants d'airs pop. Mais le blues demeure le socle, solide comme un FUCK.

Avec "Brothers", on quitte donc le Royaume du BBlues classique, pour une production crasseuse qui réussit l'exploit de faire revivre l'authenticité du son frelaté des blind boys d'antan, tout en soignant la griffe de la modernité. La marque du Beau, selon Baudelaire.

 

Le beau délétère plante ses fleurs du mal le long de chaque phrase, dense massif. Comme chez les Black Keys, l'universel et le moderne se chevauchent (on entrecroise les tiraillements les + profonds, la stérilité de Coldplay, les héritages de l'enfance, Beigbeider mijotant "Un roman français" dans sa cellule, etc). Hymne à la littérature autant qu'à la nature pathétique des hommes, "Connard" suit amusément les traces d'un psychopathe passionné de langues (au sens figuré ? Vous rigolez ?) et de ses poursuivants, prétexte accrocheur pour collecter la connerie de l'espèce humaine. Chasseur émérite, Esteban la saisit dans ses moindres cachettes, le sujet est donc vaste. Comme un Expert trouve des traces de sperme sous une froide lumière bleue, il révèle nos tâches, nos pensées les + sales, les bassesses tabous, la pauvreté du quotidien.

Cette littérature au foie malade, gavée de pinard et de Céline, est d'une précision qui vous découpe en tranche. Ecrit à la première personne singulière ou à la onzième personne du pluriel, ce feuilleton trouve sa + grande force dans sa (protéi)forme. Celle-ci est traversée d'une liberté et d'une inventivité jubilatoires, capable de muter en roman épistolaire, en pièce de théâtre, en élans métaphysiques, et même de voir des personnages reprendre leurs droits et tendre un vigoureux doigt d'honneur à l'auteur.

 

Loser

 

Les aventures crasses du petit monde rigolard d'Esteban résonnent pleinement dans les échos garage des Black Keys. Revenus d'une incursion rap avec le projet Blakroc, ils ont ramené en souvenir une audace et un sens du groove encore + affutés.

La basse est une bombasse. Affamée comme un Beck avide sur "Sinister Kid", aguicheuse sur "Ten cent pistol", elle fera de vous une marionnette dansante. La soul coule de ses pores, comme les grasses rythmiques de la gratte saccadent le blues en cascade. La transe est sublimée par cette production badine, les orgues suants, les bricoles de l'invité Danger Mouse sur "Tighten up".

Cachés par la rudesse médiatisée des White Stripes et le séduisant je-m'en-foutisme cabotin des Libertines (on est sous l'ombre croisée des deux groupes dans "Unknown brother" !), The Black Keys ont mis le temps à sortir du statut culte pour devenir un groupe qui compte, dont on attend avidement la suite.

 

On attend aussi la suite de "Connard", de nouveaux chapitres coups de poing qui frappent la provocation de Palahniuk en plein thorax, de nouveaux coups de scalpels à la Houellebecq. On veut savoir si le Commissaire Issaire retrouvera Vincent Gland dit le Connard avant que les langues ne se délient. Et on veut que la batterie de "Brothers" vienne cracher son tempo sur ces mots hématomes.

On veut encore qu'Esteban appuie là où ça fait mal, dans une masochiste catharsis. On veut de son huile de coude, des phrases qui sentent la vieille vaisselle, des sentiments qui puent. Fouette-nous Esteban ! Tes maux nous font du bien !

 

 

Puisqu'on en est à la gratuité, Youtubez et Atramentez en même temps :

http://www.youtube.com/watch?v=mpaPBCBjSVc

http://www.atramenta.net/lire/connard-saison-1/34109

 

Et encore du blues brut :

http://www.youtube.com/watch?v=-jr0194uC-M

 

       

 

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 18:04

Ogawa le muséeSys Matters

 

Note de concordance : 8,5/10

 

Immersion.

Les oreilles se remplissent. D'une eau tiède, de sons mutins, d'un lot de mots mats.

Syd Matters nous plonge sous les eaux, Yoko Ogawa sous une lame de poésie.

 

Un peu de magie d'abord : certains livres, depuis leur rayonnage, vous interpellent, vous parlent. Puis ils vous guident : "ouvre-moi page 39, tu verras, il y a une jolie formule". Parfois ils vous donnent le ton de l'histoire sans que vous ayez rien demandé. Ce livre vous veut ; il vient de vous choisir et votre cerveau se satisfait de cette acquisition inversée, refermant ses écoutilles + vite que la main sur le bouquin pour ne pas changer d'avis, ne pas briser cette imbécile complicité.

Le ton était donné lors de ce dialogue muet avec "Le musée du silence" en pleine librairie : immersion. Mot-clef venu d'entre les mots et me faisant vite jeter l'ancre sur les chansons de "Brotherocean".

 

La quatrième merveille de Syd Matters - groupe indé français issu du concours CQFD des Inrockuptibles - est un voyage aquatique. Les mélodies se déplacent à travers les courants harmoniques. Les compositions, faune complexe, se déflorent un peu, à chaque écoute, à chaque plongée. Rien n'est fixe, la flûte entendue là hier est aujourd'hui ensevelie sous les échos vaseux d'un piano. Vous croyez reconnaître le chant de six reines comme une harpe vous harponne. Les chœurs indélébiles s'effacent et vous narguent, banc de perches tendues que votre oreille n'atteint pas. Les boucles de guitares, poisons rouges, vous entrainent dans leurs abysses avant de changer leurs tentacules de sens. La biture est labyrinthique. Ivre de plaisir, on s'oublie, on préfère à l'oxygène les Naïades de l'album.

 

"Le musée du silence" ne met pas en scène la petite sirène mais fonctionne en vase clos. Les personnages n'ont pas de nom, le village non plus. L'auteure est japonaise mais aucun soleil levant n'indiquera où l'action se déroule. Hors du temps, l'intrigue drague le fantastique. Une impression de flottement inonde le lecteur. On se laisse emporter par ce narrateur muséographe engagé par une vieille acariâtre pour monter un musée improbable, au milieu de nulle part. Et avec pas grand-chose dedans. Des objets qu'elle a collectés toute sa vie, disparates, incohérents, rangés par le hasard. Ils ont pourtant un point commun : ils sont tous le souvenir d'un mort. L'inventaire devient un hymne à la mémoire.

Bientôt le héros va se sentir pousser une mission au bout des doigts: prendre le relais. La fille de la vieille dame en poisson pilote, et de cabrioles en cambrioles, il va subtiliser à chaque défunt un objet, emprunter l'empreinte d'une vie. Etrange comme les morts abondent... Un prédateur sévit, la lame cinglante...

 

Ce récit fragile se voit parfaitement bordé par les berceuses adultes de Syd Matters. Il en faudrait peu pour que les notes qui s'entrecroisent s'entrechoquent et détruisent cette planète musicale. Mais comme Yoko Ogawa économise ses mots, le leader Jonathan Morali trie ses effets de haute volée et jamais une mesure n'est de trop.

Aussi précieusement que les personnages recensent leurs trésors, "A robbery" égrène les arpèges, comme si Nick Drake avait repris goût à la vie et n'avait pas laissé son livre de Camus derrière lui (tiens, qu'est-il devenu ? Un musée l'expose-t-il ?). Les trombes de chœurs de "Hallacsillag" vous submergent, toute idée de sortie devient abstraite, au même titre que notre muséographe ne parvient plus à quitter le biotope du village. "I might float" ouvre les vannes d'un flot de mélodies dont la superposition étourdit, sourde une mise en abîme qui se reflète dans le manoir aux objets. Organique et alambiqué, "Brotherocean" prolifère d'idées ; éclos l'écho du huis clos sans frontière d'Ogawa.

 

ogawa photo

 

Pourtant ce roman évoque le silence. Les moines et les objets renferment les secrets tus. Mais le vrai silence n'existant pas, il fallait une B.O.L. aux contours définis, une bulle cohérente. Comme un musée qui colmate la mémoire qui fuit. Le monde s'il ensile les souvenirs en héritage, forme un mausolée pour la mémoire collective.

 

En lisant "Le musée du silence", immanquablement on se pose cette question : "Lequel de mes objets conservera-t-on pour se souvenir de moi ?" Mettons ça sur le compte de Syd Matters qui m'a égaré, je n'ai rien trouvé.

 

 

Splendide "Hi life" et son clip à l'avenant :

http://www.youtube.com/watch?v=A4N_zbegHro

 

Et voilà que la boucle se boucle. Je viens de découvrir une vidéo de "I might float" jouée en acoustique dans un musée ! De la magie, vous disais-je... 

http://www.youtube.com/watch?v=dKqlXQ9fOns

 

 

 

 

 

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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 07:20

  dome stephen kingThe Dears

 

Note de concordance : 6/10

 

Tels un dôme fantomatique, 1'200 pages de Stephen King et le nouveau The Dears sont tombés du ciel en même temps. Euphorique mais néanmoins pas rassuré quant aux fiançailles de ces deux œuvres, il me fallait pourtant admettre que je n'aurais rien envie d'écouter d'autre pendant le mois de février 2011. Que "Degeneration Street" allait devenir une B.O.L. coûte qu'écoute !

 

Son titre résume finalement assez bien le drame qui s'abat sur le nouveau pavé du King : il suffit de quelques heures pour que notre société dégénère. Mettez un dôme, improbable, invisible, incassable, au-dessus d'une ville... et regardez ce qui se passe. D'abord les accidents, puis l'excitation, la colère, la dérive, la cruauté... le carnage. Un microcosme sous le poids d'une plaque de verre. Personne ne sait rien de ce champ magnétique, pas même Obama & Co. C'est de l'intérieur que quelques américains moyens de tous âges vont devoir trouver une solution.

Sauf qu'être isolé, c'est échapper à la loi. Pouvoir agir sans subir les conséquences. Sacré fantasme ! Qui mène irréversiblement à la dictature. Stephen King veut montrer à quelle vitesse une nation - ou un groupe, ou un homme, ou une religion - peut basculer lorsqu'elle ne s'ouvre pas sur les autres. Une prison invisible, guillotine cristalline, pour évoquer les enfermements moraux.

 

dome panorama

 

Sadique, l'auteur se régale à emmêler les destins croisés de ses petits insectes se cognant contre une paroi de verre. Il nous raconte, le chapitre nerveux, l'encre écarlate, les parcours simultanés de chaque personnage. "Degeneration Street" commence par ces mots, dans l'épique "Omega Dog" : "it happened at the same time (...) it happened to us. Pressed down, pressed down". Une prophétie de la descente du dôme. Les moments d'anthologie étouffent d'emblée le cinquième album des montréalais. L'auditeur suffoque sous le poids des mélodies constrictrices et des strates d'arrangements. Une production céleste sous une chape de talent.

 

La matrice de ce disque étend son influence depuis le centre de l'album : "Torches", court instrumental venu de l'espace, est la source du son galactique de "Degeneration Street", son ADN. Le trou noir du big-bang créatif. Ecoutées dans le cosmos de la lecture aléatoire, il semble que toutes les chansons peuvent venir se recharger auprès de ce morceau-mère solennel. Les impuretés du dôme de Stephen King se tuméfient dans ce même foyer. Les visions déformées des prisonniers du dôme - étoiles roses, soleil mourant - sont du coup parfaitement accompagnées par  le monumental "Galactic tides", prière allant s'écraser contre le ciel, l'ascension des chœurs d'anges floydiens n'y faisant rien.

 

the dears photo 2011

 

Murray A. Lightburn, leader des Dears mi-crooner mi-rocker mi-soulman (il faut bien 3 moitiés pour évoquer le génie de ce groupe dont la voix me tuera, un jour !) a donné davantage de place au rythme et à l'énergie des guitares (retour du fiévreux Patrick Krief). La chevauchée en ruée majeure "Stick w/ me kid" ou naturellement "Blood" éclaboussent le roman de leur vigueur.

Bien que très long, "Dôme" est une course contre la monstruosité, très rythmée. Des morts, il en afflue, mais le temps lui, n'y succombe jamais. C'est qu'il y a du boulot d'écrivain à faire le tour de tous les habitants d'une petite ville, sous la double emprise d'une serre absurde et d'un adjoint au maire salaud jusqu'au bout des gènes (même son fils est très méchant, ses employés sont très méchants, et s'il a eu un poisson rouge un jour, il était sûrement très méchant aussi).

 

Malgré un manichéisme 10 kilos + lourd que le dôme lui-même (mais le Citizen King se fait plaisir en s'acharnant brutalement sur les républicains mono-prises qui ont dû débrancher leur cerveau au profit de la télé, et toutes sortes de faux-pseudo-culs-prédicateurs, alors on lui pardonne), on se sent vite coincés sous la même prison que ces personnages attachants. On rouvre le livre comme un repris de justice en liberté conditionnelle retourne le soir dans sa geôle. On veut savoir pourquoi. Savoir si Barbie, ancien soldat en Irak, saura mettre ses traumatismes et son expérience au service des dernières personnes lucides de cette ville autant gangrénée par l'aveuglement que par l'air malsain qui se raréfie (bienvenue à Chester's Mill, venez découvrir sa rivière, son centre-ville pourrissant, son hôpital hors-circuit, sa radio chrétienne, ses entrepôts de drogues, son réchauffement climatique, sa jeune police hitlérienne).

 

Stephen King a de moins en moins foi en la race humaine, et Murray Lightburn, chantre de l'espérance, semble aussi en avoir pris un coup. Même si au milieu de l'apocalypse, celle de King comme la nôtre, The Dears chantent sur ceux qui résistent. C'est pour cela que le final éreintant, certes un peu précipité mais captivant de "Dôme", doit se lire sous la houlette de "Lamentation", de l'aventureuse "1854" ou de la précitée "Galactic tides". Maelstrom de clavecin de cordes de rugissements de guitares de chorales de synthés qui ont traversé la voie lactée. On peut reprocher aux Dears des arrangements + chargés qu'un jam entre Radiohead et Arcade Fire, mais il demeure toujours une flamme de grâce au coeur de la chanson, qui éclaire et décharge. Une vie, sous le dôme.

 

Un grand moment live :

http://www.youtube.com/watch?v=7AZC4QyNl4o

 

Un grand moment studio :

http://www.youtube.com/watch?v=wg95WslJx-4

 

Un grand moment acoustique :

http://www.youtube.com/watch?v=EpBghrngg6U

 

Le trailer du livre :

http://www.youtube.com/watch?v=zQJmy6k8NNY

  

 

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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 08:31

 

bar 2000Vespa

 

Note de concordance : 8.5/10

 

Il y a plusieurs moyens d'être ridicule en lisant :

 

a) maintenir ostensiblement un ouvrage de Kant devant les yeux, afin de profiter de son aura intellectuelle, mais en tenant le livre à l'envers.

b) se plonger dans le dernier Musso alors qu'on est incontestablement de sexe masculin.

c) pouffer de rire tout seul toutes les deux strophes, parce qu'on est en train de lire des nouvelles de Stefano Benni.

 

Ayant vécu l'option "c" récemment, je suis + apte à en parler. "Bar 2000", recueil de nouvelles ayant comme point de rendez-vous les bars italiens, est un catalogue des travers de "la Botte", son cuir de qualité et ses trous dans la semelle. Journaliste et écrivain, Stefano Benni est apprécié dans son pays comme un ristretto avant le travail. Revigorant !

benni.jpg

Davantage qu'un prétexte sympathique, le bar est choisi parce qu'il est un espace de vie, d'échanges, un lieu populaire. Avec son style édulcoré,  Benni y dresse des classements, catégories, et autres listings délirants. Il est très probable que Barney Stinson de la série "How I met your mother", tire ses théories fumeuses de cet auteur.

 

Comment réprimer son rire face aux descriptions de comptoirs insensés, tout droit sortis de chez Jacques Tati, dont la complexité design rend si longue l'arrivée du café qu'il en est servi - sacrilège ! - froid ? Comment ne pas se reconnaître dans le florilège de conversations absurdes des accrocs du portable ? Comment ne pas rigoler lorsqu'il dresse l'inventaire des bars branchés ou ploucs et de leur piliers les + notoires, dont le fameux client râleur et de mauvaise foi ?  

Sous la coque goguenarde, une critique acerbe du fumet douteux laissé par la squadra berlusconienne. Mais pas systématiquement. Aucun acharnement, place à l'humour et à la fantaisie.

 

Il fallait donc une musique idoine. "Vespa songs" n'est pas un énième best of englué dans les refrains cuculs de Toto Cutugno. Ce disque a par contre l'extrême désavantage de ne pas exister, il s'agit d'une compilation que je me suis faite à l'occasion d'une virée au pays de Da Vinci (à Sperlonga précisément, village que je ne conseillerai à personne afin de le garder rien que pour moi ! ). Si l'on excepte ce fâcheux détail qui fait de ce disque un CD tiré à 1 exemplaire, "Vespa songs" est idéal pour pomponner les atours de ces si plaisantes nouvelles : du swing, de la nostalgie, de la pop 60's, l'insouciance d'une balade en Vespa, et même des chansons panées d'humour avec l'espiègle Nino Ferrer. Le tout, évidemment, dans la langue de Mastroianni.

 

On trouvera donc, en vrac, des reprises easy-listening de Burt Bacharach qui a un "appuntamento" avec Ornella Vanoni, des classiques des années Dolce Vita et le thème du film homonyme, quelques mouvements capillaires compilés de Dalida ("Come Prima"), un "Mambo italiano" qui avance et recule entre les virils Sinatra et Dino, une version décalée du kitch "Sara perchi ti amo". Le charme désuet n'est pas le seul apanage de cette compil' accueillant l'electro dépenaillée de Sporto Kantès ("Roma's life"), celle + rangée et nostalgique de Koop, le thème de Nespresso en intro (quoi d'autre ?), Murat dans un doux bain de "Foule romaine", Fabio Viscogliosi qui écrème un tube de Lucio Battisti, Coralie Clément trempant quelques orteils dans l'écume lascive de la langue italienne, et bien d'autres curiosités et bizarreries...

 

Cette collection de chansons et les 23 nouvelles du poil à gratter bolognais qui met son grain de sel partout (petit aparté : désolé pour les internautes égarés qui cherchaient par mots-clefs une recette sur Google, cet auteur n'est pas comestible) ont pour point commun la légèreté et l'absence de prétention. C'est pourquoi ce disque joue si bien son rôle de bande-son dans les récits farfelus de "Bar 2000".

Les morceaux les + classiques enveloppent l'histoire de ces retraités qui se tournent autour et pour lesquels le lecteur choisira la fin (de la + cruelle à la happy end ultime). On préférera la décontraction de Nino Ferrer ("Viva la campagna") devant les dialogues nécrologiques à crever de rire, de vieilles en circuit fermé. Un peu de lounge et de peine pour mon alter-ego HIB (l'Homme Invisible aux yeux du Barman). Les titres les + jazz (Koop en tête) seront naturellement sollicités pour la seule enquête de privé solitaire. La sautillante Alima Gré distrait autant que ce pêcheur qui étudie le langage des poissons, la bonne bulle !

 

Tout le track-listing s'amuse des satires hilarantes de Benni, de son sens de l'exagération qui ferait passer les marseillais pour de modestes apprentis-conteurs mal dégrossis. De ses machistes outre-alpins outranciers, des extatiques statisticiens footballistiques qui squattent zinc sur zinc, et des nombreuses autres légendes de comptoirs.

 

A savoir que ce livre, crème glacée de toutes les couleurs, répond au premier ouvrage de Benni en 1976, "Bar sport", jamais traduit chez nous. Faisons une pétition !

 

Il y a plusieurs moyens d'être ridicule en concluant une chronique :

 

a) s'apercevoir qu'on a perdu le seul exemplaire existant du disque décrit.

b) s'apercevoir que tout le monde se moque de cet article comme de sa première pizza, et est parti au bar.

c) s'apercevoir qu'on n'a pas de petit "c" alors que Stefano Benni aurait trouvé une talentueuse formule et même poussé jusqu'au petit "j".

 

C'est ma tournée de vidéos :

 

Jenny Luna reprenant Bacharach:

http://www.youtube.com/watch?v=kxvnQTbDgMQ

 

Ornella Vanoni avant d'être récupérée par "Ocean's 12" :

http://www.youtube.com/watch?v=uRgVeGjlCXs&feature=related

 

Sporto Kantès à Rome :

http://www.youtube.com/watch?v=GcDGuvSzFEI

 

Fabio Viscogliosi, entre indé et nostalgie :

http://www.youtube.com/watch?v=2G26tA-ANvU

 

Coralie Clément, la sœur de Biolay - encore lui :

http://www.youtube.com/watch?v=wxM5DdIl5RQ

 

La Dolce Vita selon Nino Rota :

http://www.youtube.com/watch?v=GZuNlyQO298

 

 

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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 07:03

Le bonhomme de neigeYodelice

 

Note de concordance : 8/10

 

Initialement, je n'étais pas convaincu par cette association. Je souhaitais un disque beaucoup + rock, + brut pour donner un coup de fouet à cette nouvelle aventure de Harry Hole. Comme le froid polaire vient mordre les joues. Mais on n'a pas toujours tout sous les oreilles, et lorsque, engoncé dans le menu fauteuil d'un avion, j'ai entamé le livre qui allait me faire passer douze heures de vols pour un trop court saut de puce, le deuxième album de Yodelice me parut être un substitut acceptable à The Vines, The Subways ou Veruca Salt. Ou à Hole. Ca aurait été drôle, Hole...

Déjà qu'à la base je ne croyais pas en Yodelice (pseudo de Maxim Nucci, compositeur pour Jenifer), il m'aura + d'une fois fait ravaler mes préjugés, l'homme au chapeau ! Bien fait !

 

Dès le premier riff argenté de "Breathe in", j'ai senti qu'il se passait quelque chose entre les deux œuvres. La tension ! Les guitares et les échos plaintifs en arrière-plan veulent nous prévenir du danger que les premiers flocons de neige enrobent. Sur le tourbillon arabisant qui ébouriffe la chanson, on commence à se perdre dans les époques de chaque chapitre du "Bonhomme de neige", les premières fausses pistes. La complexité de l'enquête - et donc toute sa saveur - happe le lecteur dès les premières pages, et l'aveugle comme le ciel d'hiver.

 

Harry Hole est devenu un quasi flic rock-star, on l'invite dans les talk-shows dans lesquels il vomit sa bile. Son mal être, son métier, son ex, son ami Jim Beam, le bouffent comme un cancer. Amaigri, usé, mais l'instinct bien moins vitreux que ses yeux, il va s'acharner sur des statistiques anormales de disparitions de femmes. Pas de cadavres pourtant... Les indices fondent... neige au soleil. L'équipe de Hole stagne comme une pierre de curling qui a raté sa cible. Mais l'Inspecteur a reçu une lettre, bien mystérieuse, se référant à son enquête en Australie dans "L'homme chauve-souris"... Combien de fois l'ombre d'un tueur en série s'est élevée au-dessus de lui pour se dématérialiser à la lumière de la vérité ? Et cette fois ?

 

La réponse est dans les yeux charbonneux des bonhommes de neige. Innocente œuvre d'art enfantine détournée. Le regard fixé à l'intérieur des maisons rouges norvégiennes plutôt que sur l'horizon. Fantomatique intrus, pâle épouvantail, pont tendu entre l'enfance et la terreur ("Nous allons mourir" murmure un gamin).

 

yodelice photo

 

Yodelice a choisi un look d'épouvantail chic, une larme suspendue sous l'œil. Une plume redonne le sourire à un vieux chapeau. Après un premier album où il balade ses mélodies sur de charmantes routes folk, il a le culot de le surpasser sur "Cardioid" en explorant les forêts psychédéliques. En cueillant des mélodies bouleversantes. En osant.

Vu le succès de "Tree of life", les factures EDF ont pu être payées : il dérive l'électricité et des riffs concis alimentent ses compos.

La rugosité de vieux amis me revient alors : Madrugada. Groupe norvégien (hasard en série...) qui a fait subir d'identiques électrochocs à sa musique dès 1999. Splendide "Industrial silence" dont Yodelice, génétiquement codifié, parcourt les mêmes terres gelées. Avec en + en poche cet art délicat des chœurs.

 

"Cardioid" va donc cristalliser les images glaçantes de cette enquête compacte. Boule de neige compressée par un Jo Nesbø qui semble + confiant que jamais dans son art de raconter une histoire dense. Ingénieux conteur, il sème des graines de chaque intrigue dans l'épisode précédent pour mieux les développer, comme ici avec "Le sauveur". Je ne peux ainsi que vous conseiller encore (ordonner, ce serait trop ?) de lire les Harry Hole dans l'ordre.

 

Notre héros alcoolique a des goûts musicaux prononcés (Jo Nesbø y est sensible ; il a fait parti d'un groupe de rock célèbre en Norvège, Di Derre, dans les années 90). Pendant cette enquête, il écoute Neil Young, Johnny Cash, et surtout le premier album de Ryan Adams. On n'est pas si éloigné de "Cardioid" ; je trouve cependant davantage de reflets entre un titre comme "Monkey's evolution" et le cauchemar acide dans lequel plonge Hole. Les notes, aspirées patiemment - comme un plan pernicieux - renvoient l'enquête vers le passé. Horreurs boréales... Les sons se chamboulent comme les informations dans le cerveau de l'Inspecteur.

La batterie stalagmite de "Wake me up" fait monter le rythme cardiaque dans les scènes de suspense, tandis que les cris de "Experience" glacent les sangs autant que celui de Munch. "My blood is burning" devrait avoir l'effet inverse, mais son rythme saccadé ajoute de la tension.

Un moment de répit pour les parenthèses romantiques, avec l'éblouissante valse "Five thousand nights" en duo avec Marion Cotillard.

 

Cette dernière aurait pu jouer la froide, efficace et excitante collaboratrice de l'Inspecteur Hole dans l'adaptation du "Bonhomme de neige" au cinéma. Comme je vous le signalais dans une chronique sur "Chasseur de têtes", Jo Nesbø est observé à la manière d'un nouveau Stieg Larsson et ses intrigues abyssales intriguent Hollywood. Pas au point, espérons-le, d'aseptiser l'univers Harry Hole, de lui faire boire du thé froid et parler poliment à ses collègues. Vu le beau-gosse propre sur lui choisi pour lui donner chair (de poule ?), je suis un peu inquiet...

 

film Snowman

 

Voici la bande-annonce :

http://www.youtube.com/watch?v=3GNvOBWTdpQ

(aux dernières nouvelles, il s'agit peut-être seulement d'un trailer pour le livre (!)... La mise en chantier de l'adaptation serait pour + tard)

 

Il faut également souhaiter que le film ne prenne pas comme mètre-étalon les dernières séquences du livre qu'on aurait préférées too Munch que too much : du spectaculaire quelque peu mal accordé. Pas une fausse note, toutefois, et rien qui gâche l'incursion dans cette capricieuse tectonique des faux semblants.

 

Le site de l'auteur, très bien conçu :

http://jonesbo.com/

 

Comme un parfait générique de début :

http://www.youtube.com/watch?v=7_CjI8MVY8I

   

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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 19:06

Love song 1The Coral

 

 

Note de concordance : 8/10

 

Et là forcément vous vous dîtes : "ce type est tordu !". Oui, je sais, on me propose une BD aux références musicales appuyées, où chaque tome a pour fil rouge un groupe de rock, aux chapitrages précisément dédiés à une chanson. Et au lieu de suivre le mode d'emploi de cette B.O.L., je vais nous chercher un autre groupe, The Coral. Mais c'est aussi ça le rock ! Ne pas suivre les balises et mettre son grain de poivre partout.

Faire son chieur.

 

Love song 1rubber-soul

 

love song 2aftermath

 

Or ici, il est bien question de rock. Et de britpop. Ah, et j'allais oublier, d'amour aussi. Surtout des histoires d'amour extras conjuguées au pluriel. Le sous-titre de cette série est d'ailleurs "la solitude de l'homme dans l'adultère". Nous avons donc quatre amis dingues de rock, qui ont chez eux + de vinyles que leur pote disquaire, qui refont le match McCartney/Lennon plutôt que l'OL/PSG, qui forment un groupe dont la principale date de concert tombe toujours le 21 juin, et qui répètent deux heures par semaine - autant leurs compos que leurs vieux débats. Mais ce sont leurs vieux ébats qui vont venir troubler l'harmonie de ce groupe. Chacun des membres a un rapport + ou moins avancé avec l'adultère. "Le cœur des hommes" en cuir noir.

 

Le premier tome, guidé par The Beatles, est léger comme du "Can't buy me love" - même si on avance doucement vers des jours + angoissés façon "A day in the life". Les Stones prennent le médiateur sur le deuxième et la noirceur s'incruste malgré les dessins toujours souples de Christopher. L'innocence est aussi perdue que Brian Jones. En menant le livre suivant à la baguette, on croyait The Kinks capables de ramener un peu de naïveté dans cette histoire, mais rien n'y fera. The Who se colleront au final une octave + glauque de ce polyptyque.

Vous croyiez quoi ? Ce ne sont pas les paroles d'ABBA qui résonnent ici ! Ici les histoires ont le goût amer d'un riff de Pete Townshend.

 

Le scénario superbement maîtrisé de Christopher méritait un chef d'œuvre, un modern-classic, comme Bande Originale.

 

Il n'y pas que les Fab Four à Liverpool, il y a aussi The Coral. Et ce groupe est précisément la synthèse de tout ce que la britpop a pu proposer de meilleur ces 50 dernières années. "Roots & echoes", leur cinquième album, est pour l'instant la pierre angulaire de leur œuvre. Un piège à mélodies, mises aux fers dans les morceaux up-tempo comme dans les ballades, dans les intros comme dans les phrases rythmiques. The Coral a capturé l'âme de "Rubber soul" et l'énergie d'"Aftermath". En parfaits alchimistes, ils en tirent ce nectar aux parfums 60's. Voilà pour les "roots". Les "echoes", c'est ce don du leader James Kelly à plier un tel héritage à son univers. C'est un des rares groupes pop actuels devenu comparant plutôt que comparé : "Last Shadow Puppets ? On dirait The Coral !"

 

Les prénoms de femmes parsèment le disque. Comme dans "Love song", elles sont les muses. "Jacqueline", ou surtout  "Rebecca you" et son chant au bord des larmes, accentuent les déchirements de ces trentenaires, les cordes sensibles en mode vibrato sixties. 

 

Sous le trait naïf de l'auteur, le contraste d'une histoire grave - les amitiés rongées de l'intérieur et les désillusions... La mélodie sereine de "Fireflies" scintille des mêmes paradoxes ; on y croise un garçon blessé qui fixe les lucioles dans la nuit, pour ne pas être vu en train de pleurer. Ce pourrait être Manu, Sam, Boulette ou Greg.

 

Sous la lune, on vit des scènes d'amour ou d'aveux qui se lovent dans "Music at night", morceau de clôture fantastique  aux cordes vespérales, obscures, puis nocturnes. L'Everesterday de The Coral.

 

Sous la pluie, un cimetière, récurrent : le crachin rageur d' "In the rain" pleut sur les images de ces hommes confrontés aux tentations de la vie. 

 

Sous plusieurs prismes, des scènes dont la perception se trouve bouleversée à chaque point de vue, à chaque révélation.

Quand les racines et les échos s'emmêlent...

 

 

love-song-3-bis.jpgThe Kinks 

 

love-song-4-bis.jpgthe-who-generation.jpg

 

 

Un clip dont l'esthétique semble puisée de "Love song" !

http://www.youtube.com/watch?v=FqlKZDZpmkI

 

Sur scène avec leur + grand fan, Noel Gallagher, pour "In the rain

http://www.youtube.com/watch?v=W4rTDdYBGFA

 

 

 

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Un Livre Et Sa Musique

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