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14 août 2013 3 14 /08 /août /2013 16:20

 

Note de concordance : 8/10

 

Des fils d'immigrés italiens installés en France qui triturent leurs racines, réunis le temps d'une Bande Originale de Livre. Un hasard ? Pas tout à fait. "La commedia des ratés" envoyant son héros dans le sud de l'Italie, je cherchais avant tout un disque dans la langue de Mastroianni. Ainsi le (beau) souvenir en suspension de Fabio Viscogliosi me vint et je me procurai son deuxième album, "Fenomeno".

 

Un bon roman, c'est comme une recette de pâtes : la forme a toute son importance, il faut que la base soit bonne et il faut un équilibre savoureux entre les ingrédients. Grand auteur, Tonino Benacquista sait de quoi il parle concernant ces deux sujets.

"La commedia des ratés" de Tonino Benacquista / Fabio Viscogliosi "Fenomeno"

Ingrédients :

- Un anti-héros amer du nom d'Antonio

- Des racines italiennes

- Un ami d'enfance tout juste séché

- Des pieds de vignes de Sora fraîchement hérités

- Un vin bien dégueulasse, (pour pas dire du vinaigre, ça suffira)

- Des pissenlits, par la racine de préférence

- Une pincée de superstitions avec la bénédiction de Sant'Angello

- Des secrets bien macérés

- L'Eglise, découpée en lamelles

- Et pour consommer local, une mafia du terroir

 

Préparation :

Sortez Antonio de sa banlieue parisienne grisâtre et faites-le mariner dans sa terre natale où son vieil ami un peu collant lui a légué des terres viticoles avant de se faire liquider. Antonio ne voudrait pas lui aussi passer à la casserole, il sent bien que cette petite frappe de Dario avait un projet louche derrière les fagots en acquérant ces vignes. Mais il est naturellement attiré, absorbé par toute cette mélasse. Arrosez l'histoire de cette invendable piquette opaque, piquez la curiosité du lecteur qui se demandera où est la bonne affaire. Malaxez le héros qui va s'imprégner de sa propre Histoire, s'imbiber des secrets de Sora, reprendre sa couleur et son goût originaux. Laissez-le reposer dans la petite chapelle du village abandonnée sur ses terres et les explosions de saveurs vont remonter plus vite qu'il ne faut pour faire cul-sec. C'est alors que ses ennuis vont vraiment commencer, libérant tous les arômes d'un polar juteux, relevé et plein d'humour.

 

A cet alléchant menu il convenait d'ajouter une ambiance musicale de très bon goût. La langue charnelle de Fabio Viscogliosi, l'influence transalpine de ses compositions seraient idéales. Si cet artiste lyonnais (également dessinateur et écrivain) reprend du Lucio Battisti, le géant Nino Ferrer, et laisse s'insinuer quelques mélopées pop 70's de chanson italienne, sa musique n'en est pas moins à ranger parmi les bricoleurs indés aux contours anglo-saxons. Ses mélodies rêveuses, sur le fil détendu qui sépare légèreté et mélancolie, survolent les mêmes courants que Robert Wyatt ou les Beach Boys. Les harmonies escarpées du chanteur rappellent souvent celles du collectif Rome ("Cascade", "Jase" et ses violons doux comme un Moscato d'Asti), qu'on a croisé sur ce blog lors d'une association qui elle aussi fleurait bon l'arrabbiata. Lorsqu'il se fait crooner, voire rockeur, on pense a un Devendra Banhart romain qui partagerait le même culte pour Elvis.

L'épatante petite musique de chambre de Viscogliosi a quelque chose d'enfantin. A quoi cela est-il dû ? Aux sons d'orgues naïfs, au xylophone qui colore les notes en suspension, à cette enthousiasmante batterie de poche qui donne du pep's aux chansons, au format court de ces charmantes vignettes ? Sans doute toute cette panoplie combinée. Pour autant, cette musique ne se roule pas dans l'herbe et ne grimpe pas aux arbres ; elle sent le deux-pièces encombré, la cuisine et le formica.

 

Alors vous allez me dire, en quoi cette dernière description évoque "La commedia des ratés" ? En quoi ce disque entoure-t-il si bien les mots parfumés de Benacquista ? C'est justement ce point de vue français sur l'Italie de leurs parents qui scelle les deux oeuvres. Le coeur du roman parle de déracinement, d'un jeune homme qui subit son père, qui n'a ni but affirmé ni histoire, tant qu'il renie ses origines. La musique de Viscogliosi, c'est l'Italie dans une boule de verre, la nostalgie de l'enfance. Et la nostalgie est souvent + belle que les événements - une vie en réalité augmentée, douce comme un film de Frank Capra (un autre fils d'émigrés). Fabio Viscogliosi a perdu ses parents dans de dramatiques circonstances, lors de l'incendie du tunnel du Mont Blanc et je ne pense pas que le fait de chanter dans sa langue maternelle soit anodin. Ni qu'il compare son travail à celui d'un ouvrier en quête du geste parfait (une leçon paternelle). Ni qu'une chanson titrée "Nostalgia" vienne amuser l'album, entre sieste et excitation.

Fabio Viscogliosi devant ce qu'on dirait être la "rue la plus longue" d'Antonio.

Fabio Viscogliosi devant ce qu'on dirait être la "rue la plus longue" d'Antonio.

Les atmosphères de "Fenomeno", comme un soleil accroché dans les branches d'arbres, oscillent entre apaisement, mélancolie et fantasme. De quoi éclairer les états d'âme d'Antonio, ce jeune homme nulle part à sa place qui va trouver à Sora le moyen de devenir à la fois homme d'affaires et homme à abattre.

 

Concevant lui-même ses pochettes, Viscogliosi se représente sous les traits d'un âne, un animal attachant, une figure qu'on ne saurait classer parmi les idiots ou les petits malins. C'est exactement le genre de personnages qu'on croise dans le roman de Benacquista. Avec une plume chargée d'images (presque trop exotique dans les premières pages, comme si l'excitation de parler rital avait fait gicler précocement trop d'encre), des fulgurances stylistiques d'une justesse exemplaire (sa lettre ouverte aux banlieues, ses hymnes aux pâtes...) et un subtil tissage des branches du récit, il écrit un roman original parfaitement équilibré qui prend de petites routes inattendues dont chaque virage étonne, plein d'amour pour la terre de ses aïeuls.

"La commedia des ratés" de Tonino Benacquista / Fabio Viscogliosi "Fenomeno"
"La commedia des ratés" de Tonino Benacquista / Fabio Viscogliosi "Fenomeno"

Petite parenthèse : c'est peut-être ce lien si intime qui a manqué à Olivier Berlion, dessinateur qui a lui aussi grandi à Lyon, en adaptant "La commedia des ratés" en bande dessinée (à lire également avec "Fenomeno" !). Si l'album en deux tomes est extrêmement fidèle et réussi, il lui manque ce petit supplément d'amaretto. Ce Passé clandestin. Etre déraciné, ça se vit. Etre déraciné, c'est avoir un trou dans son destin. Les deux artistes dont les feuillages se touchent aujourd'hui semblent suivre cette même quête passionnante des pièces manquantes...

 

 

 

 

Ceux qui suivent B.O.L. et sont attentifs remarqueront que la magistrale reprise de Lucio Battisti "Il nostro caro Angelo" a déjà servi un autre livre, "Bar 2000" au sein d'une compilation. Ce doit être l'apanage des grandes chansons que de briller en toutes circonstances...

 

Et en bonus, une chouette vidéo dont la musique est composée par Fabio Viscogliosi, dans son + pur style épuré et planant : Cailloux

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5 août 2013 1 05 /08 /août /2013 18:53

 

Note de concordance : 7,5/10

 

La note de concordance a bien failli être médiocre. Non que les deux oeuvres ne se répondent pas ; au nom de leurs thèmes communs et de leur axe féminin, la correspondance méritait une notation correcte. C'est au niveau de la qualité qu'un déséquilibre se fait sentir. Le nouvel album de Vanessa Paradis est un sans-faute, le nouveau roman de Siri Hustvedt est sans relief et pas tout à fait convainquant.

 

Ca partait pourtant bien : l'épouse de Paul Auster décortiquant les sentiments d'une femme quittée par son mari sur la voix de l'ex de Johnny Depp, ça sonnait bien à mes oreilles. Et il est vrai que les chansons de Vanessa Paradis - autobiographiques ou pas, au bout du compte ça ne nous regarde pas - reviennent régulièrement, comme un refrain, sur la rupture et ses conséquences. Et de quelle manière ! Pas de pleurnicherie, pas de lieux communs : une merveilleuse rumba aux chandelles comme "Le Rempart", en est sans doute le + bel exemple, un arbre qui ne cache pas la forêt des autres cimes mélancoliques de l'album telles "Station Quatre Septembre" ou "Plus d'amour" (comme un sublime écho au classique "Quand on a que l'amour" de Brel qui justifie mille fois l'achat de la version deluxe de l'album).

 

 

Alors l'histoire de Mia traverse très bien les titres les + dramatiques de "Love songs". Ecrivaine cinquantenaire dont le mari négocie une "Pause" (la "Pause" ayant à peine 30 ans et des seins bien fermes) Mia, après une violente dépression, passe un été loin de New York, dans le Minnesota de sa mère pour se refaire une beauté intérieure.

 

La reconstruction de cette poétesse érudite, brisée mais décidée à refaire surface, est le fil conducteur d' "Un été sans les hommes" ; un fil de broderie dont les tours et détours sont représentés par les patchworks d'Abigail - une vieille dame un peu coquine qui n'oublie pas qu'elle est Femme avant tout et ne rougit pas lorsqu'elle évoque la sexualité.

Afin de se retrouver, la fragile narratrice va prendre le temps de côtoyer des gens, exclusivement de nouvelles rencontres (à part sa mère), exclusivement des femmes, de tous âges. Elle donne des cours de poésie à sept adolescentes, se lie d'amitié avec une voisine jeune maman et fréquente le club de lectrices de sa mère et d'Abigail. On sent tout de suite qu'on va s'attacher aux personnages, à ces femmes solidaires dont la variété est censée représenter les multiples facettes du miroir brisé qu'est Mia. Peut-être y a-t-il trop de morceaux, trop de miettes, peut-être Siri Hustvedt s'est-elle emmêlée dans ses crochets, toujours est-il que le livre m'a vite donné tort : il n'engage pas à s'attacher à ses héroïnes dont les aspérités sont rarement assez prononcées pour nous enjouer. Un terrible manque de fantaisie, d'histoire, voire d'enjeu plombe ce roman. Raplapla...

 

Attention, il n'est pas mal écrit, certains passages sur le féminisme évitent finement la grossièreté des traits, et la radiographie des sentiments est toujours très pertinente. Mais le name-dropping de poètes inconnus d'une demi-page, l'étalage de culture semblent vains. En ouvrant "Un été sans les hommes", j'attendais beaucoup de poésie, pas un annuaire des noms de poètes.

 

Au contraire, j'ai acheté le nouveau Paradis sur le nom d'un artiste : Benjamin Biolay, producteur de l'album. Espérant retrouver les arrangements divins dont il a le secret, je suis venu à tâtons au rayon variété française à la lettre P (terrain miné infréquentable : entre Pagny et Pokora, faut faire gaffe où on pose les pieds quand même). Et c'est une claque poétique que je me suis prise dès la première écoute. Non seulement la patte de ce cher BB est bien présente, ses compositions dentelées, mais c'est le disque dans son entièreté qui joue délicieusement des variations de l'ombre et du soleil.

 

De la pop made in London, de la chanson méditative, de la bossa-nova, des rythmes africanisants, des ballades attrape-choeurs, de la folk girly, du groove urgemment sexy, le kaléidoscope est étourdissant et sa rotation sur 22 chansons poursuit sa progression une fois l'album fini (ou "couché", comme un astre). Car il sera difficile d'oublier la ritournelle bouleversante de "La chanson des vieux cons" (petite soeur, ou plutôt grand-mère, de "Ton héritage" de Biolay), difficile de ne pas fredonner encore et encore le manège de mots "Prends garde à moi", difficile d'effacer les frissons des écumes de violons sur "The dark, it comes", impossible de tiédir face à la moiteur de l'orgue et des cuivres soul au rythme du "Rocking-chair". Voilà ce que j'appelle explorer la femme sous plusieurs facettes !

"Un été sans les hommes" de Siri Hustvedt / Vanessa Paradis "Love songs"
"Un été sans les hommes" de Siri Hustvedt / Vanessa Paradis "Love songs"

Comme le roman de la new-yorkaise, "Love songs" est féminin jusqu'au bout de ses ongles pailletés. Il n'empêche, les hommes de l'ombre sont là, nombreux, omniprésents. On trouve à la création non seulement Biolay, mais le BB Brunes Adrien Gallo, Carl Barât, Mathieu Boogaerts, Marcel Kanche, Ben Ricour, etc. Et même les mains d'argent de Johnny Depp ont participé à l'élaboration d'un texte.

 

Chez Siri Hustvedt il en est de même : on est entre femmes, mais les hommes sont toujours là, derrière, ombres obsessionnelles, menaçantes ou excitantes, quoi qu'il en soit inhérentes à la lumière. C'est peut-être en réalisant que ces reflets masculins sont naturels et indélébiles que Mia se soigne, retrouvant l'équilibre. Un équilibre que la société sous son angle homme-femme (dont Mia serait l'allégorie) doit évidemment atteindre.

 

Pour démontrer cela, on passe par la dissection des mariages bancals, des effets de groupes adolescents écoeurants de perversion, des figures de tête-de-turc, des vieillesses qui pétillent encore. Sympathique programme si un brin d'enjeu tenait le tout. Mais la seule renaissance de Mia est un moteur un peu faible, et les sadiques acharnements entre jeunes filles sont vite expédiés.

 

Quant aux étranges lettres de menace que se met à recevoir Mia, dont on n'aura pas la résolution, elles m'indiquent que je suis passé à côté du véritable enjeu, ou bien que Hustvedt se moque un peu de ses lecteurs. Sans doute un peu des deux. Elle affirme (à tort !) que les hommes ne lisent pas les livres écrits par les femmes : peut-être cette interruption de l'intrigue est-elle une vengeance toute féministe, une manière de frustrer le lecteur de thriller bourrin qui se serait égaré dans les draps de ses pages qui resteront propres ? Castration amère !

 

 

Je ne déconseille pas pour autant ce roman qui même s'il déçoit par son opacité, est régulièrement percé de bon moments. Et bercé par la voix radieuse de Vanessa Paradis, cajolé par les chansons aussi fragiles et tendres que Mia, aussi belles, nuancées et variées que les femmes, ce récit d'un coeur malade qu'on panse à l'altruisme s'enrichit heureusement de bien belles tonalités.

 

 

Un duo qui prouve que les hommes et les femmes vont si bien ensemble : Le Rempart (live)

 

Une chanson qui traduit si joliment le petit train-train du sentiment amoureux : Station Quatre Septembre (live)

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7 juin 2013 5 07 /06 /juin /2013 11:39

 

Avant-D-aller-Dormir.jpgTricky-False-idols.jpg

 

Note de concordance : 7,5/10

 

 

Je souhaiterais porter plainte. J'ai été kidnappé. Happé. Assommé. Pieds et sens liés par une association de malfaiteurs anglais. Un livre et un disque sur un coup fumant, conspirant pour vous arracher au sommeil. Méfiez-vous de ce duo !

 

Le cerveau se nomme Watson. Premier coup à son actif, mais quel coup ! Il attire les lecteurs dans ses filets avec un pitch digne du box-office américain. Une jeune femme se réveille dans le lit d'un inconnu d'un certain âge, se dirige silencieusement vers la salle de bain, et constate avec effroi qu'elle n'a plus la vingtaine mais plutôt 50 ans ! L'homme la rejoint, la rassure, lui explique qu'il est son mari et qu'elle souffre d'une forme rare d'amnésie : suite à un accident, le cerveau de Christine ne stocke plus de nouveaux souvenirs. Depuis presque trente ans, le sommeil anéantit sa mémoire récente. Chaque nuit sa disquette est formatée, chaque jour elle doit réapprendre son histoire. Ainsi commencent les trois premières pages d' "Avant d'aller dormir".

 

sj-watson.jpg 

 

L'exécutant, un vieux de la vieille ! C'est sa dixième affaire. Tricky est un des trois principaux braqueurs qui ont monté le coup du trip-hop, avec ses collègues de Massive Attack et Portishead. Les coupures de presse racontent toutes que "False Idols" est une sorte de suite du chef d'oeuvre de 1995 "Maxinquaye", un retour aux sources, et semblent couler dans le béton tout ce qui s'est passé au milieu comme si c'était négligeable. Résumé facile ! L'oeuvre au noir de Tricky est belle et complexe ; comme les cadavres, on ne s'en débarrasse pas comme ça, elle réapparaît toujours.

 

tricky.jpg 

 

Il est pourtant vrai que "False Idols", édité sur le propre label de l'artiste, aligne une cohérence et une constance dans la justesse que les tout derniers albums n'assuraient pas. Minimales, intimistes, envoûtantes, les quinze chansons renvoient une lumière noire obsédante. L'intensité ne baisse jamais. Les mélodies, comme toujours susurrées par Tricky et chantées par des invitées à la voix soul, sont épurées, cristallines, et contrairement à ce que subit l'héroïne du roman, elles se gravent tranquillement dans la tête. Basses pesantes, groove neurasthénique, l'electro de Tricky va à l'essentiel. Pas besoin de fioritures quand la base est impeccable. Juste une production au cordeau, moderne et homogène. Le disque est une étourdissante ritournelle en quinze mouvements distincts.

 

En + du fait de la tension qui traverse les compositions, cette homogénéité habille à merveille ce récit qui se répète. Tous les matins, Christine se réveille pour vivre approximativement la même journée, avec de sensibles variations. On déplore aussi le calvaire patient de Ben, son mari, obligé d'expliquer à sa femme pour la millième fois où elle se trouve, quel âge elle a, comment ils se sont rencontrés et pourquoi son téléphone n'a plus besoin de fil.

 

Grâce à une construction d'orfèvre presque aussi fulgurante que le parfait "Memento" de Christopher Nolan, S.J. Watson va faire dérailler cette insoutenable routine avec une idée simple : l'introduction d'un journal intime, véritable mémoire délocalisée de l'héroïne qu'elle alimente jour après jour sur les conseils d'un docteur, au point de reconstituer certains événements, déloger des vérités, et déceler d'inquiétantes incohérences dans ce qu'on lui raconte - et les menteurs, mon cher Watson, on ignore combien il y en a. L'auteur nous enferme dans sa construction labyrinthique aussi ingénieuse qu'addictive. Ce qui pourrait être un quasi huis clos va éclater à coup de rebondissements excitants.

 

Je vais moi-même rebondir (sans trop espérer vous exciter pour autant !) sur le fait que Tricky a réalisé son album enfermé chez lui. Il reconnaît bien volontiers que la sociabilité n'est pas son fort et croiser des stars dans les studios d'enregistrement, se sentir obligé de faire la causette à ces fausses idoles, ça ne l'intéresse pas. Cela donne cette ambiance claustrophobe au disque, qui enserre Christine et sa course aux souvenirs écrits. La vie de cette amnésique est une suite de parenthèses de + en + pleines. Inévitablement, les jets de guitares menaçants de "Parenthesis", splendides et anxiogènes, font monter la pression d'un cran à chaque écoute et collent au propos.

 

Les arrangements épurés de Tricky accordent une place de choix à chaque ligne mélodique, à chaque boucle, chaque percussion. Pas de background brouillon. Les notes sont sélectionnées, égrainées, triées sur le volet. Cette sensation de dénuement sublime laisse un passage aux silences, aux respirations, au vide (la belle reprise de Van Morrison "Somebody's sins" creuse les cavités les + profondes). Parfaite représentation du cerveau ébréché de cette femme à la recherche de son passé - et de son présent. "False idols" est comme une histoire à laquelle manquent des cases qu'on a besoin de combler, d'où notre oreille à l'affût. Quant aux pièces de puzzle de Christine, elles s'autodétruisent la nuit tombée. 

 

La tension du roman, ce tiraillement entre un passé et un présent qui se rejoignent dans les notes d'un journal intime griffonnées dans l'urgence de l'éveil, est chevillée par le riff psychopathe de "Does it", les beats implacables de "Hey love" ou les cordes vénéneuses de "Nothing Matters" que la géniale Nneka illumine de sa rage désenchantée.

L'intimité de Christine, ses questionnements et son courage face à ce cauchemar sisyphéen trouvent des échos dans les titres les + sensibles du disque, la touchante et fort à-propos "If only I knew" ou le sample magique de Chet Baker d'où se déroulent les volutes "Valentine".

 

Alors oui, l'association de ces deux oeuvres denses nous détournent de la réalité. C'est un rapt dans un monde ouateux et intriguant, une passionnante plongée dans les souvenirs effilochés et la reconstitution de soi. Leur rencontre a trouvé du sens jusqu'à la dernière page. "False idols" évoque les célébrités qui ne méritent ni leur statuts ni leur statues, et qui auraient dû rester anonymes, tandis qu' "Avant d'aller dormir" parle d'une femme qui n'est personne et qui veut juste devenir quelqu'un. 

 

La mémoire courte ou victime du syndrome de Stockholm... finalement je retire ma plainte.

 

Quitte à subir ce rapt, lancez-vous vite avant que l'adaptation hollywoodienne  en 2014 avec Nicole Kidman et Colin Firth ne vienne déflorer l'intrigue et lâcher ses bandes annonces qui racontent les 8/10èmes du film.

 

Before_I_Go_To_Sleep.jpg

 

 

 

Et pour finir, un aperçu global de l'album en un seul clic. 

       

 

 

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24 avril 2013 3 24 /04 /avril /2013 17:39

 

hoodoo-darlin.jpgla-femme-psycho-tropical-berlin.jpg

 

 

Note de concordance : 8/10

 

Il n'y a pas de hasard. Des puissances occultes nouent des enjeux qui nous dépassent. L'arrivée quasi simultanée entre mes mains de ces deux nouveautés, comme un cadeau du dieu des Bandes Originales de Livres, ce doit être le résultat d'un plan complexe et invisible. L'envoûtement de l'expérience doit en tout cas à voir avec le vaudou.

 

Déjà que je suis fasciné par l'univers vaudou, alors quand une artiste BD s'empare du sujet avec une fraîcheur et un panache tels, je ne peux que plonger ! Des cadrages qui enrobent l'action, des enchaînements fluides, des pages étourdissantes de beauté, des dessins en transe ; pire, des couleurs à faire éclater les iris... rien ne manque pour faire de "Hoodoo darlin' " un véritable bijou. Mais un bijou unique en bouts de ficelles, de ceux que les sorciers utilisent pour leurs obscures cérémonies.

 

Un peu comme cet asson dont hérite Adèle, une jeune femme noire de Louisiane qui se lamente de rester à la surface de tout ce que l'ésotérisme renferme. Son maître lui enseigne la patience, mais pour elle les séances d'exorcisme manquent de piquant. Elle n'a pas de vision. Les esprits demeurent invisibles à ses yeux frustrés, et un soir d'ennui moite, une escapade en forêt va lui faire franchir les interdits et les portes de perceptions. D'intrigantes épreuves en cinq étapes l'attendent alors...

 

Dès les premières cases qui foncent pied au plancher vers un flashback accrocheur, Léonie Bischoff méduse le lecteur, poupée épinglée, et ne le lâche plus. Le ton est donné : même si l'humour s'insinuera dans le récit, on est dans un drame fantastique au rythme parfait. A tombeau ouvert.

 

                hoodoo-3.jpghoodoo-2.jpg

 

Le macabre a beau agripper l'histoire, la mort fureter dans les marais, des cadavres de jeunes femmes assassinées décorer les bayous, la scénariste/dessinatrice insuffle du merveilleux dans chacune de ses séquences. Magie mauve. Son image du vaudou n'est ni glauque, ni désincarnément correcte. Presque burtonienne en somme...

 

Sur son instructif blog "On the road to nowhere", l'auteure dévoile ses inspirations musicales, les esprits du blues qui l'ont accompagnée pendant la conception de sa BD. Dans son encrage, il y aura du Neville Brothers, du Skip James, ou Big Mama Thornton. Du très bon.

 

Je sais, je suis contrariant, mais pour cette B.O.L. je trouve pourtant intéressant de décaler l'ambiance musicale afin d'englober la touche résolument féminine de "Hoodoo darlin' ". Et évidemment, chercher La Femme...

 

Alors évidemment, on peut s'étonner du fait que ce collectif à géométrie variable soit en fait constitué d'hommes, les voix féminines étant juste des invitées. Pourquoi donc ce nom ? Oh, est-ce qu'on a reproché à Taxi Girl d'être des garçons, aux Beatles de ne pas être tout à fait des insectes ? Est-ce que Joy Division a jamais fait marrer qui que ce soit ? Et à vrai dire, Fun me fait chialer d'ennui, et que dire de Dany Brillant...

Ces jeunes gars qui font la route entre Biarritz et Paris ont toutefois une explication toute faite à leur pseudo : La Femme est un mystère... 

 

la-femme-groupe.jpg

  

Quand démarre "Psycho Tropical Berlin" avec "Antitaxi", comme un train bien nourri (pied au plancher, là encore), on pressent une dimension terrifique dans la musique de La Femme. Le mellotron prend la voie aérienne et pousse son vibrato horrifique le + aigu. Lugubre ululement ultra lunaire... Ce son bien particulier hante régulièrement l'album et nous ferait presque croire que Mars Attacks ! Il y a une dimension fantastique dans ce premier album à la croisée de trois mouvements, comme son nom l'indique : un aspect psychébordélique et foutraque qui a quelque chose de cinématographique, des incursions tropicales assurées par des percussions comme les bongos, et des fortifications binaires à la mode berlinoise. Insolente triplette.

 

En surgissent des hymnes comme "La femme" et son indélébile refrain extra-céleste, ou le twist E.T. "Sur la planche". Superbe invasion de la pop française par ce brillant ovni !

 

Des rouleaux sixties et de surf-music (héritage biarrot !) s'abattent sur le disque. La richesse et l'effervescence des arrangements mènent les chansons de La Femme vers les films de séries B, les B.O. de John Carpenter, les atmosphères inquiétantes, les ombres mouvantes, les monstres émouvants. Les paroles, en décalage, sont assez éloignées de ces univers, mais le ton détaché, glacial et monotone des chanteuses a quelque chose du zombie ; sous une peau épaisse de mélodies pétrifiantes, l'âme enfermée des chansons suit, évanescente, ces voix d'outre-timbre.

 

"Psycho Tropical Berlin" est un démon rentré dans le corps de "Hoodoo Darlin' " qui l'habite de ses sonorités psychotiques. Quand l'indus expérimentale est gratouillée par les gris-gris grisants de claviers fantomatiques sur "Amour dans le motu" ou "Nous étions deux", les spectres de couleur autour d'Adèle semblent se multiplier. Sur "Hypsoline" et son "Interlude", les notes défilent en procession de revenants, dans une jungle de bongos. Et je rebaptiserais bien le redoutable "Blues de Françoise" en "Blues d'Adèle" sur les pages hallucinantes de la séquence onirique à lire à la verticale. La montée en puissance du rythme cardiaque de "Saisis la corde" gravite le même crescendo qu'Adèle, dont le coeur bat le chaman.

 

hoodoo-4.jpg

 

J'ai eu la chance de croiser professionnellement le chemin de Léonie Bischoff, une fille formidable et méritante qui a passé les étapes de l'initiation à la création, comme son personnage. Je la crois capable de puiser son talent dans les mêmes cachettes organiques qu'Adèle. J'espère lire encore de nombreux ouvrages aussi éblouissants de sa part, sur lesquels, promis, je respecterai enfin ses recommandations musicales. En attendant que je trahisse mon pacte, jetez-vous sur ce splendide voyage en pays vaudou, et sur le feu-follet "Psycho Tropical Berlin". Culte !

 

 

Mélodie tortueuse, fantômes et cérémonies incantatoires... même le clip valide ce mariage : "La femme"... et quelques  bonus.

Palmiers-claviers avec "Amour dans le motu"

 

 

 

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16 avril 2013 2 16 /04 /avril /2013 10:39

Le-cercle-litteraire.jpgThe-Divine-Comedy-promenade.jpg

  

 

Note de concordance : 9/10

 

1296716647 papercuts-fading-parade-2011Faux départ !

Il faut savoir rebondir, renoncer à ses plans les mieux dessinés, tout effacer et mettre la gomme. Cela faisait des mois que tout était calé : je n'écoute pas davantage le nouveau disque des indés Papercuts "Fading Parade", et je le réserve pour la lecture de ce livre que je trouverai bien le temps d'ouvrir un de ces jours, "Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates". Très bon feeling, idéale B.O.L... Quand enfin ce rendez-vous fantasmé de longue date est venu, ce fut comme la rencontre décevante avec une fille chauffée sur internet. Ca ne collait pas.

 

A la vitesse du speed-dating j'ai donc fait tourner les partenaires. Un mot m'avait mis sur la voie : Bath, la ville anglaise, citée dès la deuxième page. "Bath", c'est aussi une chanson de The Divine Comedy. Sur le même album, "The Booklovers". Amoureux des livres. Une évidence. Mille évidences. Mille-et-une raisons de mettre la grâce innée de Neil Hannon, le craquant homme-orchestre derrière le pseudo The Divine Comedy, au service de ce ravissant roman épistolaire.

 

C'est alors que le voyage vers l'Angleterre a vraiment commencé.

 

Envoyez le générique : BATH !

 

neil-hannon-3.jpg

 

Les lettres sautillantes de Juliet, auteure à succès de l'après-guerre négociant un culotté virage artistique, sont pleines de vie, d'espièglerie, de cet humour qui déride l'Earl-Grey lors du tea-time. Chaque chapitre est une courte lettre à la légèreté séduisante. Juliet, au carrefour de ses envies de femme moderne, a l'encre débordante. Mises bout-à-bout, les correspondances avec son éditeur, sa meilleure amie, son courtisan, et surtout les habitants de Guernesey - l'île à propos de laquelle elle se documente en vue d'écrire son nouveau livre - créent une structure narrative dynamique et maline. Ainsi Juliet va-t-elle se lier d'amitié avec les membres d'un cercle littéraire qui sont tombés dans l'amour de la lecture par hasard. Les ténébreux hasards de la guerre.

 

Un patchwork se met en place, rapiéçant le quotidien de cachemire d'une londonienne confortable de 1946, les itinéraires accidentés du métier d'écrivaine, les haillons de l'occupation et leurs lots de cauchemars, la renaissance difficile et contrastée suite à la libération, le fil des amitiés nécessaires, le livre comme tissu structurel.

 

The Divine Comedy, c'est l'art de tricoter des pièces orchestrales entre humour et émotion. De la pop de chambre emportée par des courants symphoniques fulgurants, des alizés de violons, les hauts vents du hautbois... Neil Hannon est un orfèvre de la tragi-mélodie, l'architecte des harmonies escarpées. "Promenade", son troisième album de1996, dessine les crêts que sillonnera naturellement toute sa discographie à suivre. Trois quarts d'heures de grâce, de grand air, de petits airs qui flattent l'oreille, de trésors qui flottent ou sommeillent.

 

Neil-Hannon-2.jpg

 

Combien d'artistes savent ainsi glisser de l'entraînante ballade guillerette ("Don't look down", "Going downhill fast", ...) aux éventails + ou moins déchirants de la mélancolie ("The summerhouse"), et ce souvent au sein du même morceau ("Bath", "A seafood song",...) voire de la même portée ("Tonight we fly") ?

Des sourires et des larmes. Les uns roulant sur les autres.

 

Le charme du "Cercle littéraire..." tient à cette mise en relief entre la guerre et le renouveau, les souffrances et la soif de vivre. Le livre brasse l'horreur et les histoires d'amour, noirceurs et bluettes comme les écumes de Guernesey. La dentelle émotionnelle de "Promenade" est faite des mêmes trames.

Le fait que le roman dépeigne le quotidien de l'occupation de Guernesey rend à la fois + durs certains événements insoutenables et nuancent les motivations des allemands sur place. Ces tranches de vies, découpées en lettres cachetées, sont quelques blocs de réalité. On tremble pour le cercle de voisins attachants qui s'épaulent face au harcèlement des nazis, on s'inquiète lorsqu'ils fabriquent un savon de fortune dans leur dos, on blêmit devant le départ forcé des enfants arrachés à leur île et à leur famille, on respire en les découvrant se passionner pour les quelques livres à leur disposition, on rit avec eux quand il ne reste plus que ça pour tenir.

 

Et puis on vit au rythme des battements de coeur de Juliet, qui se languissent pendant les dédicaces en librairie un brin ennuyeuses, sursautent devant la séduction d'un bel aristocrate, s'accélèrent en découvrant le cercle littéraire de Guernesey, s'emballent à la lecture des petites histoires dans la grande,... s'enflammeront peut-être ?

 

Tous ces sentiments sont magnifiés par les envolées romantiques de The Divine Comedy. Les drames se préparent sous les cordes de "Bath" et se défont sur le piano de "Neptune's daughter". La convivialité voisinale s'énivre avec "A drinking song". Les promenades insulaires semblent se diriger vers "The Summerhouse". Sous l'aile de ce disque, les joies et les peines de Juliet ou du modeste anglo-normand Dawsey Adams prennent tout leur envol. Et quand commence la cavalcade "Tonight we fly", une des + belles chansons de tous les temps et de toutes les galaxies, on redevient adolescent, on se prend tous les coups de foudre du monde, on sait que l'amour sera toujours brûlant. 

 

Le dandy irlandais détient le secret de l'alchimie entre songwriting pop et classique, et son chant élégant qui résonne dans les pubs de Derry le jour, sur les planches de cabarets la nuit, lustre l'or de ses compositions. Il y a cet irrésistible je-ne-sais-quoi british dans chacune de ses chansons, des chapeaux melons et de vertes prairies, des battes de cricket et des soeurs Brontë, ce truc qui donne envie d'être au service à thé de sa Majesté.

Mary Ann Shaffer et sa nièce Annie Barrows ont sans doute été frappées de ce même complexe : elles sont américaines. En préparant cet article, j'ai appris que Mary Ann Shaffer était décédée. Sans savoir que son roman serait un triomphe. Triste... un peu l'impression de revivre un événement du roman, où la mort frappe évidemment + fort en temps de guerre.

 

shaffer-et-borrows.jpg

 

Mais séchons ces larmes de papier. D'ailleurs Neil Hannon comme elle sauraient en faire une oeuvre bouleversante et drôle, c'est certain.

 

A l'ère hystérique des réseaux sociaux, il est drôle de ressentir l'impatience et la soif de communiquer qui animent les gens 67 ans + tôt. L'excitation à la réception d'un courrier. Tout a changé, mais rien n'a changé. Les hommes nouent des liens entre eux, avec les moyens du bord, au rythme de leur époque. Les télégrammes en moins de 140 signes, des lettres d'ajouts à la liste d'amis, des descriptions HQ avec des mots imagés...

Et avant tout, l'outil le + indispensable, légendaire et fédérateur, c'est le livre. Le livre qui unit, qu'on partage. Le livre qui donne les références, qui pose les bases communes. Le livre qui éclaire, qui déplace. Le livre qui transmet, qui témoigne. Le livre qui lie, qui cultive. Le livre qui offre un terreau commun, une communauté.

 

Les insulaires du "Cercle littéraire..." perdraient la tête sans l'évasion littéraire. Et cela va de soi, il faut y voir la parabole de l'unité garantie par le patrimoine culturel. Dès qu'on entend la longue énumération d'auteurs qui constituent les paroles de l'extraordinaire "The Booklovers", on peut ressentir ce même frisson, cet amour de la littérature, cette chance d'avoir entre les hommes toute une Histoire écrite et reliée, une richesse collective imprimée au sang de l'imagination.

 

Neil-Hannon.jpg

 

THE END : TONIGHT WE FLY

 

P.S. : La rumeur court qu'une adaptation du livre par Kenneth Brannagh verrait Kate Winslet prendre les traits de la rousse Juliet. Belle idée qu'il faudra allier à celle-ci : demander à Neil Hannon de faire la B.O., et de recycler "The Booklovers".

 

 

 

 

 

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21 mars 2013 4 21 /03 /mars /2013 10:39

mille-petites-falaises.jpgdeus-following-sea.jpg 

 

 

Note de concordance : 8/10

 

 

JH, orig. Canada, nom trop long pour rentrer dans cette petite annonce, écriture déjantée, cherche BOL pour accompagner son 1er roman. Thèmes dépendance(s), écriture(s) exutoire(s), culpabilité(s), suicide(s), abandon(s), ligne(s) de fuite(s), héroïne(s), alcool(s), glas(s),...

Besoin d'une musique en roue libre comme le personnage de "M P F", Mason, écrivain noyé dans la blanche (page ou poudre au choix) qui vend des hot-dogs dans une camionnette en forme de chapeau, le Dogfather. Il avance à la coke brise-glace d'un bateau ivre. Entouré de bras cassés, d'âmes cassées, de vrais cas soc', notre toxico cultive la loose de Hank Moody et l'adresse de Jerry Lewis.

A la rencontre d'un employé de bureau mal dans sa peau et phobique de la couleur orange, Mason devient scribe pour les suicidaires, pour ceux qui ne trouvent plus les mots d'adieu. Le chantre des pendus. Le nègre du désespoir. Faut bien payer son pote Chaz qui le fournit en doses et le ruine au poker (Mason est le bouffon du bluff), et il accepte cet épi-taf.

 

S'en suivent des rencontres de + en + tordues dont une petite grosse écorchée qui veut rendre l'âme à tiers, une docteure qui croit à l'écrit-cure de désintox, une paraplégique dont la partie mobile n'a plus de sensations, un dangereux psychopathe sadique. Et quelques shoots d'amours cabossées.

 

Le but est d'animer musicalement un récit déjà très riche qui part dans tous les non-sens, qui s'engouffre dans un livre dans le livre, dans les notes méta-couches malpropres du héros en perdition, dans les conversations surréalistes qui s'entre-mailent, dans les méandres d'un écrivain caméléon camé les nuits. Inutile de préciser à quoi renvoient la forme speed du roman, les chapitres déstructurés et les épisodes épileptiques qui désorientent "M P F".

 

Le rythme doit rester soutenu, tendu : malgré la drôlerie du roman, son humour noir café, l'intrigue se serre. Les traumatismes enfantins idiots de Mason submergent sa pensée, la déchéance succède à la déchéance, après la chute l'effondrement, et le danger gravit les falaises dans l'autre sens...

Titre original : "Ghosted". Un ghost-writer hanté, accro à l'écrit. Voilà pour l'ambiance.

 

Si votre musique suit les courbes hachées d'une plume rudoyée par Chuck Palahniuk, coudoyée par Donald Westlake, soudoyée par Dan Fante, si elle s'inscrit dans l'originalité d'une histoire sans cesse détournée par les addictions, si elle épaissit le double suspense de la rédemption et de la mort qui rôde, merci d'envoyer mail et échantillons à :

 

Ghostmason@hotmail.com

 

  shaugnessy.png

 

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De : Felix-leiter@live.fr

à : Ghostmason@hotmail.com

cc : Tom.Barman@deus.be

 

Objet : BOL de Mille petites falaises

 

 

Cher Monsieur dont le nom est trop long pour rentrer dans ce mail,

 

Il est sans doute bien des albums barrés, des objets soniques mal identifiés, qui triperaient sur les mêmes fulgurances littéraires. Mais les chemins de poudre d'escampette de Mason sont durs à suivre, et peut-être est-il utile de cadrer un minimum cette aventure.

 

"Following sea" est le septième album de dEUS, et il apporte à la fois rigueur rock et psychédélisme contenu à "Mille petites falaises". Dès le titre d'ouverture "Quatre mains" on en a la démonstration, une tension urbaine saisit les trips comme la traversée d'un quartier mal famé. Une filiation gainsbourienne inédite chez les belges (s'exprimant pour la première fois en français) dont le texte complexe et imagé s'inscrit tout à fait dans le style littéraire de Mason.

 

Si des titres pop comme "Sirens" ou "Crazy about you" sont un peu légers - certains bien + sévères que moi diront insignifiants - ils posent une ambiance assez neutre et décontractée sur les scènes amusantes du livre, quand Mason est à côté de la plaque d'une façon ou d'une autre.

 

En revanche les nécroses jazz-rock qui viennent creuser des morceaux indés comme le vénéneux "Girls keep drinking" ou "The give-up gene" se paient les mêmes tripes que le héros. Entre rêves et cauchemars, montées vertigineuses et mille petites descentes.

Même les paroles de Tom Barman semblent écrites pour ce roman. Restons sur "The give-up gene". Dans cette chanson on peut entendre ceci : "I'll be the perfect companion / To translate your despair". N'est-ce pas précisément le nouveau métier de notre écrivain en panne ? Quant à la magnifique "Hidden wounds", sans doute la chanson la + époustouflante de l'album, elle expose les traumatismes d'un homme, comme une carcasse de porc sur un étal, sans artifice. Un homme blessé au niveau de l'envie.

 

L'abandon dans l'addiction trouvera comme sphère commune les rêveries planantes de "Nothings", aux vapeurs floydiennes...

 

Pour ce qui est de monter le rythme, dEUS sait faire aussi. Le suspense et les embrouilles seront soutenus par les guitares délicieusement électrisées de "One thing about waves", et surtout grinçantes dans "Fire up the Google beast algorithm", derrière les grilles d'un talk-over carrément menaçant.

 

deus.jpg

 

Non seulement la musique de ce groupe génial retrouve un panache, une inventivité, une liberté qu'il n'avait pas atteinte depuis le chef d'oeuvre "The ideal crash" et dont les innombrables entrelacs raffinés habitent à merveille "Mille petites falaises", mais un autre paramètre est à ajouter : la même philosophie vous anime, vous Mr Shaughnessy Bishop-Stall et dEUS. Etre en roue libre. Partir à l'aventure, tenter, rompre les habitudes, casser les codes. Le groupe avait sorti son album précédent "Keep you close" il y a quelques mois seulement. A l'heure d'internet, dEUS a décidé de dévier la routine, de chevaucher le rythme, de livrer son nouvel album tout de suite, comme on tweete.

Un peu comme les chapitres hallucinés de Mason viennent perturber le fil de l'histoire... (parfois trop, mais le thème de l'excès justifie ce défaut).

 

On se moque que le disque de dEUS semble évoquer l'eau. On parle bien de jungle urbaine, pourquoi pas une mer urbaine ? C'est dans les eaux sales de l'addiction que plonge Mason, mille fois. Toute la question est de savoir s'il ressortira la tête de l'eau une mille-et-unième fois. 

 

Alors oui, les chansons de "Following sea", dont les nirvanas mélodiques se découvrent comme des poupées russes,  s'emboîteront à l'histoire de Mason, à ses fuites, ses échappées, les fausses pistes, les trompe-l'oeil d'une écriture labyrinthique qui fourre l'intrigue sous des cascades de récits gigognes.

 

En espérant vous avoir incité à abuser de dEUS , veuillez recevoir, cher Monsieur, ces quelques lignes - en vous gardant bien de les sniffer.

 

Felix Leiter, blogueur

 

 

Pièce jointe : deux extraits musicaux

 

Un peu de noirceur avec "Quatre mains"

 

Un peu de lumière, un beau clip onirique qui s'ouvre sur un livre béant avec "The soft fall" (tiens, encore une rechute ?)

 

 

 

 

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25 février 2013 1 25 /02 /février /2013 17:39

 

ghost-world-daniel-clowes.jpgSurfer-Rosa.png

 

Note de concordance : 8,5/10

 

En marge...

Les deux adolescentes bouffées par un ennui acnéique et le premier LP du groupe culte de Frank Black ont bien ceci en commun. Du caractère, de l'épaisseur, de la densité, du tempérament, du relief. Rien de banal, de surfait ou de lisse. L'envers du mainstream. Le contre-courant.

 

Il aurait pu sembler naturel de glisser du Air, du Beach House ou tout autre groupe planant de dream pop sur le quotidien en suspension des filles de "Ghost World", et de céder à l'influence facile des films de Sofia Coppola, mais cela aurait manqué de rugosité. Pas assez dans le sens du poilant, du fun que distille la BD de Daniel Clowes. Bien sûr il y a de la mélancolie dans cette amitié qu'on sent vite en danger, menacée par la routine grossière d'une ville américaine livrée à la chaîne par le taylorisme. Mais un humour sarcastique colle aux cases de ce roman graphique. Une humeur underground et des personnages qui - état même de l'adolescence - ne sont pas "casés". Entre glande, discussions creuses, jugements hâtifs, voyeurisme, les journées d'Enid et Rebecca tournent autour des réflexions décalées et savamment méchantes de leur petit duo hermétique.

 

ghost world

 

Passant de cafés en fast-food, les deux collégiennes du début des 90's observent les énergumènes autour d'elles, des freaks ou des losers qui passent sous la lumière verdâtre bichromique de leur cynisme. Rien ni personne ne trouve grâce à leurs yeux.

 

En 1988, les Pixies aspergeaient le monde du rock de leur son décharné, débraillé. Un rock de branleurs érudits. Rien ni personne ne devait trouver grâce à leurs yeux - à part sans doute le producteur visionnaire Steve Albini qui pour 1'500 malheureux dollars dégraissa les chansons de Black Francis (Frank Black) jusqu'à l'os. Au point de faire de "Surfer Rosa" cet album-phare (et n'oublions pas que les phares sont seuls, à l'écart... en marge) qui revisite et digère de manière unique le punk, le rockabilly, le garage, la surf music, la pop... Décomplexé, le groupe se fout des modes comme aucun autre, crée sa propre contre-culture. Derrière la rage des riffs de guitares expédiés à l'arrache en moins de deux minutes chrono, l'esprit tordu et rigolard transpire comme la bière dans un garage d'ado : les cris gutturaux du leader, les conversations de l'enregistrement insérées dans les compos, la production lo-fi fuyant les studios pour préférer l'acoustique glacée d'une salle de bains, les paroles absurdes, tout cela confère un détachement et un humour décalé au brûlot des Pixies. C'est ce qui différencie leur musique d'un simple groupe d'énervés, d'une énième formation punk qui a trop les boules.

 

pixies.jpg

 

Dès la première page de "Ghost World" - et c'est en ça que j'ai pressenti "Surfer Rosa" comme étant une excellente Bande Originale de Livre - Enid se moque des rockeuses-majorettes qui se croient avant-gardistes parce qu'elles ont écouté une fois Sonic Youth. Plus loin, Enid cherche un certain réconfort dans les disques des Ramones. On est bien là, entre punk et rock indé, ce monde musical parallèle que les médias ne relaient pas. Un monde fantôme qui coexiste avec notre univers concret.

 

La question du Monde Fantôme est posée. De quoi Daniel Clowes veut parler avec ce titre, qu'on retrouve sous forme de graffiti à chaque début d'épisode de sa BD (c'était initialement un comics paru en feuilleton) ? C'est d'abord l'adolescence, période transitoire où l'indéfini pousse par touffes troublantes, où les frontières mouvantes floutent les repères. La position spectatrice des deux amies qui observent leurs concitoyens dans les supermarkets ou derrière les vitrines des cafés en forme d'écran ciné, symbolise cet état de rétention, entre jugement radical et tentation tue de devenir actrice du monde. Le titre évoque aussi la marginalité, tous ces gens qui ne sont pas rentrés dans le moule ultra-libéraliste qu'on croise pendant le récit, presque invisibles. Le choix de couleur vert d'eau bien particulier choisi par l'auteur donne d'ailleurs un ton spectral à l'album. Enfin, on peut considérer que le vrai fantôme est Daniel Clowes lui-même, qui s'est insinué dans l'intimité de deux jeunes femmes pleines de paradoxes et de complexité, assistant aux conversations, aux pensées ou aux gestes les + privés, révélant une vérité d'une pureté rare.

 

Lire les petites remarques acerbes, les moqueries de ces filles attachantes mais elles-mêmes bourrées de défauts, qui passent au grill des Pixies secoue tout ce petit monde ! Dès les premiers rugissements mélodiques de "Bone machine", il était évident que les chansons déglinguées du groupe prendraient de l'ampleur face au dégoût complexe des collégiennes entre deux âges. Toutes batteries en avant (l'influence de Steve Albini, encore) les morceaux s'enchaînent et entraînent "Ghost World" sur un grand huit duquel on a démonté les temps morts. "Something against you" et son intro-picale fait grimper au palmier. "Vamos" rompt avec tout ce qui existe musicalement et invente le punk-jazz. "Gigantic" et sa magnifique ritournelle basse raconte l'expérience d'un voyeur et ne dénote pas avec l'histoire de la BD. Les cassures de rythmes, les couplets calmes dévastés par les refrains éjaculateurs précoces (qui régaleront Kurt Cobain, premier influencé par Pixies) se frottent parfaitement aux planches de Clowes qui maîtrise à merveille les points de vue dans des scènes de conversation à huis-clos qui pourraient s'avérer lassantes sans son talent inné pour la mise en scène et sa sincérité.

 

pixies-bar.jpg

 

Evidemment, le joyau de "Surfer Rosa", c'est "Where is my mind ? ", si habilement récupéré par l'ex-enfant terrible d'Hollywood David Fincher sur "Fight Club" pour son propre duo de marginaux. Les sirènes crépusculaires de cette chanson mythique s'adaptent tout aussi bien à ce chef d'oeuvre qu'aux mutations des deux collégiennes sans cibles, qui n'osent pas tomber amoureuses. Nostalgiques d'un autre avenir. Surtout cette chanson aux notes vénéneuses, propice aux conclusions intenses, tire des larmes douces-amères quand on découvre les deux inséparables pour la première fois chacune d'un côté de la vitrine du café, l'une étant passée de l'autre côté de l'écran. 

 

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Oui décidément, ces chansons et les deux amies un peu paumées auront zoné sur les mêmes trottoirs. Je n'ai pas vu l'adaptation cinématographique avec Thora Birch et Scarlett Johansson qui semble réussie. Malheureusement, pas de trace des Pixies sur la bande originale. C'est quoi ce bordel ?

 

http://www.youtube.com/watch?v=rq6AOc0ATnU

 

Pour moi, enfin, il y a ce goût particulier d'une époque, ce son brut que je ne peux qu'associer aux libertés des diplômes décrochés, à la mue des envies, au choix des universités, à cette angoisse au sucre enivrant de la jeunesse recyclée. J'écoutais en boucle la voix de la bassiste Kim Deal chez son groupe suivant, The Breeders, lorsque j'atteignais le même carrefour qu'Enid et Rebecca... ce qui m'a rapproché un peu + d'elles encore. Lecteur spectateur voyeur, comme un énième fantôme dans leur petit monde à elles.

 

 

Pour un début sur les chapeaux de roues, "Bone machine"

 

Pour un final émouvant, "Where is my mind ?"

 

 

 

 

 

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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 16:39

 

la jouissancebiolay vengeance

 

Note de concordance : 7,5/10

 

 

J'ai mis Florian Zeller et Benjamin Biolay dans le même lit. Le plumard, emblématique, est le lieu où commence "La jouissance" et où bien des chansons du ténébreux caladois trouvent refuge. C'est de surcroit sur l'intimité d'un matelas molletonné que j'ai croisé ces deux oeuvres, dans d'amères correspondances.

 

La Bande Originale de ce "roman européen" ne devait pas vraiment jouer de rôle atmosphérique. Il m'est vite apparu évident que ce court roman n'alambiquerait pas l'intrigue et ancrerait ses réflexions sur des anecdotes historiques - passionnantes, de fait. Alors pour des raisons de thèmes de prédilection, de modernité commune, et de rimes, "Vengeance" et "La jouissance" ont cohabité.

 

Nicolas et Pauline aussi. Que du bonheur. Cependant on passe rapidement sur ces mois-là, l'amour dure vingt-quatre mois, encore moins que chez Beigbeder (qui avait lui aussi été musicalement accompagné par Benjamin Biolay !) - mais notre monde descend le précipice de + en + vite, n'est-ce pas ? Place à la crise.

Nicolas est donc au lit avec sa copine. Ils concubinent joyeusement. Mais voilà qu'une troisième tête surgit des draps : le visage du fantasme, le visage de Sofia, la copine hédoniste de Pauline, une rugissante Polonaise. Tout n'est qu'illusion, pourtant la brèche du doute s'est ouverte en Nicolas. Est-il prêt à définitivement renoncer au reste des femmes, donc au reste du monde ?

florian zellerSi ce livre est sous-titré "Un roman européen", ce n'est pas un prétexte capricieux du talentueux Zeller. Le parcours de ce jeune couple est judicieusement mis en parallèle avec le destin de l'Europe. La réunification, la langue, l'hymne, les tensions, le pardon, le rôle dans l'histoire, etc, tous ces thèmes se dédoublent. Les références culturelles et historiques, pertinentes ou drôles, sont les élégants ponts suspendus qui fondent la structure du roman et assurent l'aller-retour entre la petite histoire de fesses et la grande qui s'affaisse. L'Europe voit certains de ses membres à quelques encablures de la rupture et du naufrage. De même, le petit quotidien bourgeois-bohème du scénariste parisien en galère et de sa partenaire plus stable, d'origine allemande, finit par vaciller.

 

Les histoires d'amour finissent mal en commandant Biolay. A croire que le chanteur à la réputation de tombeur a collectionné les blessures sentimentales. Dans son herbier, trahisons, doutes, malentendus, abandon, rancune, cornes, solitude, déchéance. Avec son sixième album studio (en omettant injustement l'album de remixes, le projet "Home" et les bandes originales de film) BB ouvre sensiblement son éventail, enrichit sa matière. Les frontières de son univers clair-amer sont tombées pour accueillir une ribambelle de belles rencontres. L'union fait la force de ce disque de libre-échange, entre l'auteur-compositeur le + génial de France et ses six invités : une moitié des anglais Libertines, c'est-à-dire Carl Barât (avec qui il vient de monter sur scène pour la comédie musicale "Pop'pea"), la germano-danoise Gesa Hansen, le pertinent Orelsan, la nouvellement célibataire Vanessa revenue de son paradis bahamien, l'enchanteresse australienne Julia Stone et l'espiègle Oxmo bien d'chez nous.

 

Une communauté au service de l'inspiration de Biolay dont le souffle ouvre "Vengeance" aux quatre vents. La variété, un terme recouvert de moisissure, de notes molles et d'arrangements galvaudés, retrouve ici son sens premier, celui que l'assourdie chanson française contente d'elle-même lui a fait perdre, celui de la diversité et de l'audace, de l'innovation et du défrichement, du plaisir et du partage. Oui, Benjamin Biolay venge nos oreilles insultées en dépliant les cartes des genres musicaux.

 

biolay aime mon amour

 

L'obsession du son de basse New Order déjà reconnue sur "La Superbe" prend toute son ampleur dans les lancées new-wave de "Marlène déconne" et "L'insigne honneur" qu'on croirait co-écrites avec un Robert Smith ayant fondé The Cure il y aurait seulement cinq ans. Eclatant, éclaté, l'album bondit sans complexe de la pop au hip-hop : "Belle époque" en explore les rues les + jazz, celles où l'on chope le groove des échoppes de Puccino. Les complaintes solitaires, les arrangements aux p'tits violons, les ballades mélancoliques sont toujours présentes ; c'est l'empreinte sur le passeport de Mr Biolay. Mignon et léger, le duo "Profite" avec Vanessa Paradis (première collaboration avant la réalisation de son futur album, quelque 23 ans après Serge Gainsbourg) appartient à cette catégorie et renvoie des échos hauts-les-choeurs-perchés de "Trash yéyé".

 

"Profite"... Ce pourrait être l'hymne de Sofia, la Polonaise, aussi perturbatrice que ses compatriotes plombiers ! A travers le trentenaire Nicolas, Florian Zeller s'interroge justement sur la notion de "jouissance", sur une génération d'individus qui ont soif de profiter de la vie, dont le terrain de jeu ne serait qu'un vaste lit. En contrepoint vient le "sacrifice", concept démodé. Comme Nicolas le décrit dans cet excellent passage, il considère comme le philosophe roumain Cioran que l'événement le + important de la deuxième partie du XXème siècle est... le rétrécissement des trottoirs ! Autrement dit un événement qui nous touche directement - nous empêchant de flâner - plutôt qu'un attentat qui tue 3000 personnes que nous ne connaissons pas. Cynisme ou lucidité ? Egoïsme ou réalisme ? Zeller répondra qu'une solitude insupportable est la conséquence d'une vie vouée à sa seule personne, sans renoncement ("Personne dans mon lit", illustrera magnifiquement BB). Après tout, la jouissance n'est-elle pas une petite mort ?

 

Gros morceau de "Vengeance", "Ne regrette rien" monte l'assoc' avec Orelsan qui vient finalement scander de son flow dépité un texte rageur sur l'oubli des premières extases, sur l'évaporation des sentiments, le vide qu'on génère, le passage des astres au désastre. Epitaphe de la passion. Ce sont rigoureusement les mêmes remous qui tourmentent Nicolas, puis Pauline. Pauline qui vient de marquer sa journée d'une croix bleue... test positif.

L'arrivée d'un enfant semblait cimenter les couples au XXème siècle. Aujourd'hui un bébé serait plutôt la bombe à neutrons qui fait imploser le couple (digression, là on pense à un morceau + ancien de Biolay : "Brandt rhapsodie").

 

On aimerait laisser les parenthèses acoustiques "Trésor trésor" et surtout la fragile et sublimement ciselée "Confettis" souligner les quelques moments de bonheur des personnages, mais leurs doutes et leur culpabilité prennent bien leurs sources dans les eaux agitées dont Benjamin Biolay est le gardien. Le chanteur et le romancier fouillent les mêmes émotions et comportements, mais Biolay choisit la voie poétique quand Zeller explore de façon chirurgicale le cerveau de ses personnages. 

Nicolas hésite. On ne nous a pas appris à résister à la tentation, seulement à céder aux promesses publicitaires, depuis le berceau (Zeller ne va pas jusque-là, mais devrait !). Comment alors renoncer à Sofia, Ana, Victoria ? Comment ne pas voir la concrétisation immédiate de nos envies primaires comme ce qu'il y a de + salutaire ? Peut-on mettre de côté le Plaisir alors que cette notion-reine de notre époque nous rit à la face à longueur de journée ? Et notre civilisation y résistera-t-elle... ?

 

La réponse est peut-être dans cet album qui prend le plaisir dans la réunion, le partage et l'échange (qui a dit l'échangisme !?!?), mais rien n'est moins sûr. "Vengeance", aborde la même vision, les mêmes thèmes, les mêmes désillusions et les mêmes questionnements que ces trentenaires qui cherchent à trouver leur place ailleurs que dans la seule jouissance. En cela le cinquième roman léger mais intelligent de l'écrivain est superbement escorté.

Si émotionnellement le disque de Benjamin Biolay est peut-être la première petite redescente suite à une continue montée en puissance orgasmique des précédents albums, il demeure un feu d'artifice exceptionnel à la production en Technicolor haute-couture.

 

biolay préécoute

 

De ce culotté patchwork, il m'était impossible de ne pas retenir "La fin de la fin" - déchirante chanson aux accents 70's et northern soul où Biolay se fait crooner, un résistant à la poursuite de son amour-propre - pour terminer la très juste démonstration romancée de "La jouissance". Dans ce refrain à l'orchestre nostalgique, un homme retrouve sa place dans son histoire... dernier écho à Zeller, qui lui conclut que nous sommes hors-l'Histoire, ce qui rend si complexe notre appréhension du monde, ce qui nous rend si creux. Avec "La fin de la fin" en générique final, tout se reconnecte, le plaisir à tout crin, le plaisir à tout craindre.

 

Le sujet préféré de BB : l'amour...

Aime mon amour

 

L'enregistrement avec Orelsan en studio :

BB#5

 

 

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23 octobre 2012 2 23 /10 /octobre /2012 12:39

vie sexuelle superhérosthe xx 

 

Note de concordance : 9/10

 

Le corps et l'esprit.

C'est un être de chair et de sentiments qui naît de l'union des oeuvres qui convolent aujourd'hui.

 

"La vie sexuelle des super-héros" s'attache donc à des corps. Mais pas des corps communs ; ceux dotés de super-pouvoirs, celui élastique de Red Richards (vous savez, le leader malabar des Quatre Fantastiques), celui métamorphe de Mystique, les muscles mis à nu de Batman ou le corps ubiquiste d'une super-anonyme.

Marco Mancassola plonge dans la vie amoureuse de ces mythes effondrés, démaqués, banalisés, télé-réalitisés, tout en échafaudant un grand complot, fil conducteur du roman, qui vise à éliminer ces gloires du passé, ces héros rangés des toitures, les capes et les collants au placard. A moins qu'un tueur en série s'acharne sur nos idoles adolescentes ? "Adieu cher Batman" : c'est le message que reçoit le narcissique Bruce Wayne sur un carton blanc. Ca va faire mal...

On pense forcément à "Watchmen" et au "Dark Knight returns" vieillissant de la BD de Frank Miller, mais la vision contemporaine et européenne (l'auteur est italien) posent une chape de désespérance post 11 septembre encore + trouble sur le monde des super-héros américains. 

 

Nés dans les cendres en suspension des années 2000, The XX a offert une voie, deux voix, trois voiles de beauté épurée sur la pop de notre époque. Avec un minimum d'effets, une économie de notes stratège qui espace les strates acoustiques de manière subtile, le trio londonien a redéfini la new-wave, l'indé et l'electro. Depuis le trip-hop, on n'avait sans doute pas célébré la naissance d'un genre musical. Et même si les nouveaux genres semblent condamnés au mélange et au recyclage, innover au sein du ventre mou de la pop reste un exploit. Etrange d'ailleurs que les magazines britons ne se soient pas engouffrés dans le grand débat du baptême stylistique : nu-wave ! Pure-pop ! Trip-cold ! No-rock ! Sans doute est-ce parce que la musique de The XX flotte dans les airs, inatteignable, indéfinie comme leur patronyme. Un groupe né sous X.

 

the xx le groupe

 

Il y a une dimension spirituelle dans "Coexist" , un deuxième album qui absorbe le silence au coeur de sa composition. La voix est souvent à nu, dans la même intimité que les super-héros du roman. Les notes sont rares, sélectionnées grain après grain par trois sages. L'ascèse musicale des XX tourne autour de quelques riffs de guitare planants, d'une comète de ballets synthétiques, d'une batterie satellite capable de s'effacer et de réapparaître à tout moment tel un système lunaire, et d'une basse terrienne, pragmatique, retenant sporadiquement les mélodies par le bout de la nuit.

 

mancassolaC'est aussi en cela que le livre et le disque gravitent bien ensemble, aux heures classées X. "Coexist" est un album nocturne, invoquant les nuits solitaires d'amoureux transits, tant que la transe des boîtes à rythmes des dancefloors cotonneux. Marco Mancassola aurait pu se gorger des lumières de "Sunset" pour ainsi éclairer ses héros d'un rai pourpre crépusculaire. Il peint à la gouache une atmosphère de dépérissement. Fin de journée, fin des illusions, fin des corps, fin de civilisation.

Il nous met dans de sales draps, dans l'intimité quasiment gênante de personnalités déphasées à la sexualité souvent douloureuse. Au pieu avec un Batman bisexuel qui ne joue plus de ses poings mais de ceux de ses partenaires pas si pacifistes, fuck ! Devant le miroir de Mystique, face à ses caresses sur des organes transsexuels, fantasmant sur le flic chargé de l'enquête. Chez le sexologue de l'Homme élastique quand il avoue qu'à propos de la longueur de sa virilité, un petit soupçon l'habite.

 

Assurée par un membre du groupe, Jamie Smith, la production, nue, impudique, touche aux mêmes sphères de frustrations et de jouissances. "Angels" surplombe le monde et sue des mêmes gouttes précieuses qui perlent du sauna à baie vitrée de Red Richards, tout en haut d'un gratte-ciel. Les rêves érotiques de ce dernier s'élèvent et s'interrompent comme les premiers morceaux de "Coexist". Sans haillons ni paillettes, l'extatique mélancolie de "Tides" sillonne les replis d'une couette encore chaude de l'amour. La moiteur tropicale de "Reunion" recouvre ces corps fascinants, changeants, mutants, affamés, affaiblis. Le son de The XX, c'est le flottement de notre époque, ses tentations, ses hésitations, ses divagations, son adaptation. Le groupe distille les mélodies pour en retenir la seule essence, le parfum du Beau au sens baudelairien du terme.

Ces chansons et ce texte... la matière des sentiments.

 

Les descriptions sensationnelles de "La vie sexuelle des super-héros" sont d'une justesse magnifique et emballées dans un style classieux délectable. Seul problème : je vous conseille de démissionner ou de vous faire virer pour avoir le temps de lire ce livre qui paraît long, très long, (élastique ?) tant l'auteur se confond avec son univers. Ce rythme gluant est toutefois pertinent, collant aux doutes de personnages vieillissants, tranchant avec leur gloire patinée par le cynisme. Mais on parle quand même de Superman, Namor, La Chose ou Mr Fantastic et on aimerait parfois voir l'intrigue enfiler la cape et s'envoler. Si l'ambiance et le mystère s'épaissiront le long de l'histoire, l'action bandera mou, sachez-le. Le sujet est bien la sexualité complexe de corps ambivalents, métaphore de notre monde au destin tiraillé comme le corps de Red Richards entre déchéance et mutation. Un monde où les stars sont de + en + creuses et éphémères et qui se passera peut-être bientôt d'idoles. Pour le meilleur ou pour le pire ?

Y aurait-il précisément ce même questionnement sur l'avenir de notre civilisation dans la prière finale d'Elaine, la petite amie astronaute de L'Homme élastique : "Ne tombe pas. Ne tombe pas." ?

 

Après tout le super-héros est christique, un mythe condamné à subir une vie amoureuse contrariée, voire maudite. Toujours entre deux mondes (humanité/animalité, humanité/divinité, humanité/monstruosité ou humanité/nature extraterrestre), il ne trouve jamais sa place affective car il n'est pas entier.

Double.

Séparé.

Ctrl X X, coupés/décollés.

Nous retrouvons là le grand thème du chromosome XX de "Coexist" : l'éloignement, la séparation des êtres qui avaient fusionné, la tentative de réunion dans les poussières spatiales d'une prière.

Je lis en musique. Ceci est mon sort : cette B.O.L. est une hostie, une miraculeuse communion.

 

En parlant d'anges déchus... :

Angels

 

En parlant de crépuscule... :

Reunion et Sunset, live on KCRW 

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21 septembre 2012 5 21 /09 /septembre /2012 08:39

 

Note de concordance : 7/10

 

 

Virginia-Woolf-Phare.jpgBelle & Seb - Fold 

 

   

Alors là on a un problème. Ca ne colle pas. Je ne parle pas du livre et de sa bande originale, mais de la chronologie. Ma chronologie.

J'ai lu ce "poème philosophique" dans le cadre de mes études, et le quatrième album de Belle & Sebastian est sorti en juin 2000... date à laquelle j'avais digéré mes années universitaires depuis un moment ! Pourtant quand je pense à l'un, je pense à l'autre, invariablement. Nom de Zeus, je ne vais pas m'éterniser sur ce paradoxe temporel qui me donne le tournis, j'ai peut-être relu "Vers le phare" un après-midi d'oisiveté ou pressenti la concordance à venir avec ce disque en écoutant une oeuvre antérieure du groupe écossais. Quoi qu'il en soit, trêve d'honnêteté zélée, scellé en moi "Fold your hands child, you walk like a peasant" demeure la B.O.L. subtile du roman de Virginia Woolf, une épatante pop de poche fragile, délicat écho au petit monde sensible de l'écrivaine.

 

Le livre ne se concentre pas sur une intrigue forte mais sur la psychologie des personnages, sur les imbrications de la pensée, comment celle-ci se construit. Par petites touches, d'une tête à l'autre, on suit le fil des tracas nouant les membres d'une famille. Les morceaux tout en finesse de Belle & Sebastian vont nourrir ces schémas de leur palette pastelle. Les enjeux du livre - pourra-t-on faire cette promenade à l'autre bout de l'île qui réjouirait tant James, le cadet de la famille ? L'artiste et amie Lily Briscoe parviendra-t-elle à finir son tableau ? - ne sont donc que de piètres prétextes dont on a bien du mal à s'intéresser, il faut bien l'admettre. Les songeries de Mrs Ramsay et des occupants de sa maison de vacances sont un moyen pour Virginia Woolf de réaliser au moins trois choses : 

- Libérer sa plume en état de grâce et laisser le ressac de sa poésie bercer un phrasé fluide et entraînant. Tout cela au service de la psychologie des personnages.

- Eclater les frontières du roman et inventer une nouvelle forme narrative et d'analyse de la pensée. En se glissant naturellement d'un personnage à l'autre, en peignant des caractères et des vies par petits coups de pinceaux subjectifs, elle emprunte les méthodes de l'impressionnisme et les adapte à la littérature.

- Réaliser un roman secrètement autobiographique, les Ramsay et leurs problèmes de communication évoquant immanquablement ses parents, la peintre en quête de perfection faisant écho à ses propres ambitions.

 

Virginia-Woolf.jpg

 

Le découpage d'une oeuvre n'est pas laissé au hasard par les artistes. Si Belle & Seb travaille très clairement un disque comme un 33 tours à deux faces, "Vers le phare" est lui divisé en trois parties : la première dépeint pensées et relations familiales lors de l''attente d'une éventuelle promenade si le le temps le permet, la deuxième constitue une ellipse de plusieurs années et fait l'état des lieux de la maison à l'abandon érodée par le temps et le sel de l'Île de Skye, la troisième la promenade au phare dix ans plus tard mais sans Mrs Ramsey décédée ni son fils Andrew mort à la guerre. A ce dramatique événement, il m'est impossible de ne pas lier le titre inaugurant le disque des Belle & Sebastian "I fought in a war". Le chanteur-leader Stuart Murdoch sait lui aussi se glisser dans la peau d'un autre, en l'occurrence celle d'un tout jeune homme sur le champ de bataille contre son gré, forcé à tuer des gamins aussi pétrifiés que lui... cela sur une mélodie chère à canons.

 

La chanson suivante, pièce montée aux structures de clavecin, s'appelle "The Model", véritable thème de Lily Briscoe, l'artiste à la recherche d'une vision, du sens de l'art.

 

Belle & Seb

 

Moins tyrannisé par les desseins arrimés de Stuart Murdoch, cet album voit ses membres s'exprimer + démocratiquement que jamais, ouvrant le groupe à des influences plurielles. On a longtemps vu Belle & Sebastian comme une gentille troupe de scouts, mais leur leader est + autoritaire qu'il n'y paraît, et cette démarche nouvellement assumée a vraiment contribué à la mutation de la formation. Les douces compositions pastorales habituelles vont cohabiter avec la northern soul ("The wrong girl", "Don't leave the light on baby", "Nice day for a sulk") ou la folk sombre chatouillant les moustaches de Lee Hazlewood ("Beyond the sunrise"). Une section de cordes donne du souffle aux mélodies brillantes de l'album. Chaloupé, chaleureux, chatoyant, cha-cha-cha (cha suffit, je m'égare), la musique des écossais profite de ces nouveaux points de vue. Et moi j'en profite pour glisser un parallèle avec les points de vue de chaque personnage agencés de même par Virginia Woolf dans son roman !

 

Belle & Seb-Stuart

 

La force, la particularité de Stuart Murdoch est de plaquer à de naïves mélopées des textes pouvant grouiller d'une effroyable noirceur. "The Chalet lines" respire l'amourette mélancolique... elle parle d'un viol dans un camp de vacances. Avec d'ailleurs dans le texte des changements de narrateurs nous ramenant au drame de Woolf.

Je vous parlais de l'importance du découpage dans une oeuvre: si l'écrivaine prend le soin d'écrire une deuxième partie d'un point de vue objectif, hors de l'esprit de ses personnages, c'est bel et bien pour signifier les reculs nécessaires pour finaliser une oeuvre. Ce recul dont Lily Briscoe aura besoin pour enfin avoir sa vision, la clef de son tableau. "Vers le phare" parle essentiellement de création, d'inachèvement. Virginia Woolf affirme que le symbole du phare, c'est "rien". Précisément ! Il symbolise nos frustrations, nos incapacités à remplir nos manques, à être comblés. Nos carapaces vides. Et l'inconstance des choses de la vie, comme une lumière intermittente.

 

Outre que l'ambiance intemporelle, printanière et précieuse du disque de Belle & Seb est le parfait vent du nord qui traverse le roman, il se trouve que la course absurde au bonheur et les frustrations cruelles qui en constituent l'horizon, sont les thèmes profonds logés dans les paroles astucieusement pointillées par nos chouchous écossais.

 

Finalement il y a peut-être une logique à ce décalage dans le temps entre ma lecture et la découverte de "Fold your hands child...". "Vers le phare" parle du fugace intemporel, de l'éternel éphémère... Les mots de Virginia Woolf ont dû rester en suspend dans ma mémoire, flotter en attendant l'instant parfait qui leur permettrait de s'accorder à leur petite musique. Un temps soit peu...

 

Quand Belle & Sebastian parle d'art :

The Model

 

Quand Belle & Sebastian boude :

Nice day for a sulk

 

 

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