Note de concordance : 7/10
Tout commence dans un petit port des Cornouailles où un vent glacial fait craquer les mats comme des os, tend les cordages. Les marins y sont bourrus, les visages rougeauds, la vie rude et cernée de silences. Et un homme, seul, rejeté comme du varech, y revient. Houle de scandale.
Dans ce décor flanqué là par Philippe Besson, rien de tel que le rock rugueux des anglais qui ont creusé la caverne indie-garage dans ses galeries les + sombres. Les frères Reid ont formé The Jesus and Mary Chain avec Bobby Gillepsie (futur leader - dealer ? - de Primal Scream) en 1984. Fusion improbable de leurs influences, leur musique noyée dans le larsen tente l'alliance des harmonies des Beach Boys et les déflagrations éjaculatoires des Ramones ou des Stooges. Au final, c'est en quelque sorte une graine écossaise du Velvet Underground qui a poussé sauvagement de l'autre côté de l'Atlantique.
La première fleur toxique éclot en 1985 avec "Psychocandy". Son parfum de révolte va faire chavirer la Grande-Bretagne. Dès l'ouverture de "Just like honey", la superposition de la ballade planante, voire traînante, avec une réverb' digne des sidérurgies met la composition des frères Reid en équilibre entre deux horizons ; celui grisâtre des banlieues de Glasgow et celui bleu pétrole des espoirs orageux.
Les cicatrices de larsen qui viennent lacérer les mélodies rêveuses de Jim Reid sont celles qui marquent le cœur de Thomas, cet homme qui revient sur son passé et confesse par petites touches son histoire. Pourquoi il a été arraché d'ici par des hommes... Comment il a subi une peine de prison... Combien la culpabilité d'être allé en mer en pleine tempête et d'en revenir sans son fils le dévore... Pourquoi le lien avec son garçon disparu est particulier...
Face à un tel drame, Besson construit "Un instant d'abandon" comme une tentative de rédemption, en quatre chants. Passera-t-elle par Betty, la seule commerçante à apprécier Thomas, en marge tout comme lui, ou par Rajiv, son unique confident ? A moins que le mystérieux et légendaire Luke rencontré en prison ait encore un rôle à jouer dans cette histoire ? Quoi qu'il en soit ce chemin de reconstruction devra traverser la foule de regards haineux, la meute aux gorges rubicondes, rassemblée comme de la mauvaise couperose au creux des tavernes.
L'auteur décrit très bien cette communauté pour qui le sentiment est proscrit, où toute sensibilité est aveu de faiblesse, honteux. Effet de groupe, bande dure. L'écriture sensible, précise et imagée de Philippe Besson se confronte à cette horde asservie par son milieu austère, cette terre du bout du monde.
Le rock anglais se devait de souffler sur ce roman, mais depuis son versant le + brumeux. Les guitares nerveuses de "Psychocandy" s'encastrent dans le paysage rocheux, les criques décharnées par l'automne. Les écossais jettent la réverb' comme du sel sur une plaie, les mélodies dérouillent, les notes crépitent, les refrains sont abrasifs. L'omniprésente distorsion des guitares brouille les données. C'est aussi ce mélange de rage et d'espoir qui habite Thomas qu'on retrouve dans la musique de Jesus and Mary Chain. Les tourments et les épais secrets de cet homme qui revient face aux vents meurtriers résonnent dans le carnage "Never understand" comme dans l'œil du cyclone "Some candy talking". Car oui, l'idée de ce livre est de sortir du chaos. Celle du disque de le fabriquer. Ces deux œuvres se mordent la queue.
Philippe Besson explorera la faute, la culpabilité et l'envie de muer de cet homme qui repartira, s'abandonnera sur les sillons éthérés de "The hardest walk". Et le vent des Jesus and Mary Chain sifflera dans le cœur de cet homme blessé, fera craquer ses charpentes, tendra les cordes de son destin.