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5 septembre 2015 6 05 /09 /septembre /2015 08:39
"Un territoire fragile" d'Eric Fottorino / Hauschka "Ferndorf"

Note de concordance : 8,5/10

 

Je n'ai pas vu l'évidence tout de suite. Le choix de Hauschka pour filer les mots de Fottorino n'était d'abord qu'une affaire d'ambiance - point toutefois substantiel d'une bonne B.O.L.

 

Plus tard est arrivée cette concordance entre les visuels : un personnage, assis et nu, le dos vaguement voûté, comme un bouclier. On ne se livre pas facilement dans ces deux oeuvres ici rapprochées.

C'est ensuite comme un flux, comme un nerf intuitif reliant "Ferndorf" et "Un territoire fragile" qui s'est révélé. Car si l'allemand Volker Bertelmann, alias Hauschka, manipule la structure et les mécanismes acoustiques de son piano, le personnage phare de Fottorino est quant à lui accordeur. Qui n'accorde pas les instruments, seulement les corps.

 

Le musicien Hauschka est passé maître dans l'art du piano préparé. Comme John Cage qui a initié cette pratique, il détourne, décore, étoffe, étouffe les cordes du piano, y greffant ici une capsule de bouteille, y posant là une balle de ping-pong, y scotchant ailleurs un bout de plastique... Tout un attirail fantaisiste, un coffre à jouets, une ribambelle de machins qui viennent donner de nouvelles couleurs + ou moins aléatoires aux résonances, aux tonalités, au spectre harmonique de l'instrument.

Accompagné pour ce disque par des violons ou violoncelles, Hauschka restructure, retravaille manuellement - artisanalement même - la charpente et la mécanique du corps de son piano.

 

Le père d'Eric Fottorino était kinésithérapeute (il est conseillé de lire "L'homme qui m'aimait tout bas" pour mieux cerner l'ancien directeur du journal Le Monde). L'auteur est imprégné de ses gestes, du savoir-faire réparateur, du vocabulaire anatomique aux atours poétiques, voire exotiques.

 

Pas de piano manipulé dans ce roman, mais une femme. Blessée. Clara saute sur une occasion professionnelle pour gagner Bergen en Norvège, et fuir sa vie de femme battue et oppressée par un marocain au charme diabolique. Mais tout en elle est en vrac ; un chaos émotionnel, un camaïeu d'hématomes, des muscles traumatisés, des tissus en otage de la peur, des nerfs emmêlés comme la ferraille dans une vieille casse, des chairs en jachère.

 

Suite à des crises d'eczéma, on va la diriger vers l'accordeur de corps, mais celui-ci ne peut à peine la toucher. L'âme trop à vif ! Il va lui falloir beaucoup de temps pour essayer de remettre en accord Clara, faire en sorte que sa musique sonne à nouveau juste.

 

D'un côté nous avons donc un pianiste qui triture ses cordes, les amène au-delà de leurs retranchements pour en réinventer les limites, de l'autre un kiné qui remodèle les liens du corps et de l'esprit afin de retrouver l'euphonie. Pourtant ils sont à la recherche d'un même but : l'équilibre et une forme d'harmonie.

"Un territoire fragile" d'Eric Fottorino / Hauschka "Ferndorf"
"Un territoire fragile" d'Eric Fottorino / Hauschka "Ferndorf""Un territoire fragile" d'Eric Fottorino / Hauschka "Ferndorf"
"Un territoire fragile" d'Eric Fottorino / Hauschka "Ferndorf"

L'équilibre et la limite sont les grandes questions du roman ; lorsque l'on pose son doigt sur un corps et que l'on appuie, jusqu'à quel moment est-ce encore une caresse, à quel moment est-ce une douleur ? L'accordeur, puis un vieux peintre vont chercher ce point fragile, cette frontière invisible.

Eric Fottorino s'interroge alors sur les traces que l'on laisse, époussetant la différence entre le propre et le figuré. L'autre thème important d' "Un territoire fragile" est le toucher. Un sens qu'il n'est pas si aisé de traduire à l'écrit mais auquel ce bel écrivain n'a pas peur de se frotter. Et là encore, dans ce grand écart entre une mère qui semble avoir renié le tactile pour lui préférer le caoutchouc des gants et un salaud qui prend ses mains pour des marteaux, Clara ne voudrait plus avoir à choisir et juste ressentir la vibration juste.

"Un territoire fragile" d'Eric Fottorino / Hauschka "Ferndorf"

Entre clic-clic, crac, zip wap, et des mélodies répétitives (au sens hypnotique du terme) ou mélancoliques, le pianiste-funambule de Düsseldorf, brocanteur des sons, plie à lui la musique, l'immisce dans de nouvelles dimensions, la fait tourner la fait craquer, lui redessine des vertèbres d'ivoire et de rêve, en écho au travail de l'accordeur de Bergen.

 

A fleur de peau, Hauschka et Eric Fottorino sont des architectes de la vibration qui malaxent ce qui est en surface et en profondeur du corps ; ils ont comme matière première commune la délicatesse, et se désarticulent/réarticulent l'un à l'autre en accord majeur.

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20 juillet 2015 1 20 /07 /juillet /2015 08:39
"J'élève mon enfant" de Laurence Pernoud / Benjamin Biolay "Trenet"

Note de concordance : on ne donne pas de notes à l'école buissonnière

 

Il y a des livres qu'on ouvre + que d'autres.

 

Il y a des chansons qui s'imprègnent + profond dans le tissu du cœur.

 

Il y a des événements qui ont leur propre Bande Originale.

 

Il y a "ta main dans ma main ; je joue avec tes doigts ; j'ai mes yeux dans tes yeux et partout l'on ne voit que la nuit, belle nuit, que le ciel merveilleux..."

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31 mai 2015 7 31 /05 /mai /2015 15:39
Fred Vargas "Temps glaciaires" / Yann Tiersen " ∞ "

Note de concordance : 8,5/10

 

Parce qu'on ne change pas une équipe qui gagne.

 

Parce que les rêveries vaporeuses de Yann Tiersen ont les mêmes couleurs que les inconséquences du commissaire Adamsberg.

 

Parce qu''ils pellettent les nuages.

 

Parce que les mystères crottés de Vargas s'épaississent mieux encore dans les larsens climatiques de  "    (Infinity)".

 

Parce que la complexité des arrangements côtoie la complexité de l'intrigue, ses suicides douteux, ses signes énigmatiques, ses secrets de famille boueux.

 

Parce qu'enregistré en partie en Islande, ce disque semble suivre le même itinéraire que les flics déboussolés de "Temps glaciaires".

 

Parce que le quatuor à cordes Amiina et la noblesse des instruments habillent les reconstitutions d'assemblées de la Révolution Française menées par l'inquiétant Robespierre.

 

Parce que "Ar maen bihan" et Adamsberg empruntent le même train de suspense.

 

Parce que les embruns de poésie nous fouettent de toute part.

 

Parce que le terroir gaélique du Breton se nourrit des mêmes obsessions que l'écrivaine ; que l'organique et le spirituel, le minéral et l'éthéré, forment une boucle, l'infini.

 

Parce qu'Adamsberg est un phare ; un repère malgré lui dont la lumière s'absente régulièrement, au point d'alternativement rassurer et affoler ceux qui comptent sur lui.

 

Parce qu'un disque quasi instrumental perturbe moins la lecture des dialogues délirants de Vargas.

 

Parce que comme l'auteure, Tiersen préfère fouiller et se perdre dans des strates vertigineuses que d'arriver à destination.

 

Parce que le commissaire ne sait pas stagner ni s'asseoir et que le musicien va jusqu'à travailler dans un van pour rester en mouvement.

 

Parce que l'intime et les grands espaces se tournent autour.

 

Parce que l'immémorial est l'invité d'honneur commun au roman et au disque.

 

Parce qu'on entend Yann Tiersen se dépatouiller avec tous ses puzzles de samples de la même manière que Jean-Baptiste Adamsberg avec ses petits bouts d'indices, sa pelote inextricable ; la même boucle d'infini...

 

Parce que la brume.

 

 

Yann Tiersen a donné ce concert chez lui à Ouessant, mais comment ne pas y voir une parenté avec l'île de Grimsey ?

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6 mai 2015 3 06 /05 /mai /2015 23:39
"Le soleil des Scorta" de Laurent Gaudé / Dominique A "Auguri"

Note de concordance : 9/10

 

Implacable, brûlant, brutal et vital, c'est un soleil omniprésent et aux multiples facettes qui écrase de tout son poids le Goncourt de Laurent Gaudé et éclaire "Auguri". Les couvertures mutuelles déjà nous préviennent : les murs bruns, la lumière bonne, les ombres en berne, on dirait le sud.

Sous une chaleur tantôt étouffante, tantôt sensuelle, les deux œuvres avancent sur ces terres craquelées par les doigts du roi soleil.

 

"Le soleil des Scorta", troisième roman de Gaudé (6 ans avant le changement de climat déjà traité sur ce blog, "Ouragan"), suit une famille des Pouilles sur trois générations. Déjà on peut s'imaginer une saga familiale en grandes pompes, un truc épique, un choc d'époques en 900 pages grandiloquentes... pas du tout ! Tenant son rythme comme on monte un cheval, le romancier avance à cru sur son écriture belle et sauvage, traînant ou accélérant à son gré.

Le récit, lui, commence sur un âne, en 1875 sur un chemin dont le zénith use comme d'une forge. Un homme sorti de prison revient dans son village, Montepuccio, avec l'intention de prendre la femme qu'il désire, de force s'il le faut. Du fruit de la violence et de la méprise naîtra Rocco. Recueilli par des pêcheurs, les Scorta, l'orphelin va devenir le + violent et le + craint des malfrats. Si Rocco souffle un vent brûlant de peur et de respect sur Montepuccio, il condamnera pourtant ses trois enfants à la misère en léguant sa fortune au curé, lui intimant juste de leur assurer le cas échéant des funérailles dignes de princes. Les Scorta recevront le goût de la famille, la rage de s'en sortir en héritage.

Laurent Gaudé utilise la métaphore des oliviers, éternels grâce à la succession de leurs fruits, pour décrire le destin des hommes et les liens d'une famille.

 

Dans la grande famille de la chanson française, Dominique A descend d'une lignée pure, se nourrissant du sel de Bashung, des sucs de Piaf, de la sève de Barbara, planté dans le terroir de Brel. Après un album à la radicalité revêche, "Remué", l'artiste canalise ses colères et les distille dans cet album + apaisé, parfait équilibre de créativité rock et de classicisme.

"Le soleil des Scorta" de Laurent Gaudé / Dominique A "Auguri"

Titré "Auguri" simplement parce que lors d'un voyage en Italie Dominique Ané a aimé la sonorité de ce mot, l'album bénéficie a priori d'une sécheresse des arrangements (du cultissimme John Parish) dont l'urgence parle au ventre. Dominique A s'est fait violence pour ne pas ajouter des cordes partout (il se consolera avec bonheur sur "Eléor" en 2015), d'autant que Parish a l'intuition d'un album minéral, sans trop de fioritures. Pas dépouillé, rempli des Pouilles.

Il faudra alors aller chercher les subtilités qui ne se livrent pas à la première écoute, les plaisirs discrets, la vie cachée au cœur des morceaux : comme le sort apparemment rêche légué par Rocco à ses enfants. Il y aura donc un piano fureteur sur "Je t'ai toujours aimé", une trompette étouffée sous les oreillers jaunis de "Evacuez", un orgue chaud comme la braise sur "Les hommes entre eux", quelques grésillements, claps, flammes and co sur "Antonia", ... 

 

Dans ses thématiques et ses ambiances aussi, "Auguri" partage le même terreau que le roman de Gaudé. "Nous reviendrons" chante l'acharnement las des Scorta à survivre, et à briquer leur fierté. L'émouvante et enfiévrée "En secret" enjolive l'amour tu de Raffaele pour sa soeur de coeur, la charismatique Carmela . "Les terres brunes" a précisément le même sujet que "Le soleil des Scorta" : les racines dont on ne se débarrasse jamais, la terre héritée qui reste collée aux semelles, amas d'humus et de souvenirs.

 

L'épure de la production du disque offre du relief à toute idée, écrin naturel à la moindre note égouttée, et chaque son devient essentiel.

Laurent Gaudé suit le même principe : il se débarrasse ainsi de l'ennui et se concentre sur les périodes qui le motivent. On traverse une certaine histoire de l'Italie en moins de 250 pages. Joli voyage tout en fluidité. Le parcours des frères et soeurs, de leur "malédiction" à leurs progénitures, entre un aller-retour en terre promise américaine et le commerce du tabac, s'acoquine merveilleusement aux chansons de "Auguri", dont les notes colorent le récit comme du linge étendu aux fenêtres.

Le vibrato unique de Dominique A enchante les ruelles mordorées de Gaudé. Son trémolo mélodique est aux sons ce que la chaleur est au goudron brûlant quand sa vision se brouille ; il nous trouble tel un mirage sonore.


Lézardez sous ces soleils ! Comme une succession de petits miracles, au même titre que ces olives qui perpétuent le dessein des arbres, cette B.O.L. est une expérience intense et recommandée où les mots s'entremêlent et, bien que dénudés, enfantent une nouvelle lignée riche de mille choses.

 

 

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4 janvier 2015 7 04 /01 /janvier /2015 10:39
"Les égouts de Los Angeles" de Michael Connelly / Timber Timbre "Hot dreams"

Note de concordance : 8/10

 

Fouiller la noirceur des failles et y faire rentrer la lumière. Capturer le soleil californien à l'heure où il faiblit, en faire une torche pour ses tunnels intimes.

L'air de rien, les contrastes californiens ont trusté cette expérience B.O.L.

 

En choisissant les canadiens de Timber Timbre pour m'attaquer au mythe de la saga Harry Bosch, j'ignorais que leur nouvel album avait été enregistré à Los Angeles, à Laurel Canyon. Soit à trois ou quatre palmiers de la maison sur pilotis du flic inventé par Michael Connelly.

Le genre de coïncidences qui me font adorer dégoter les Bandes Originales de Livres. Bien que le hasard ait ses limites : ce sont les ambiances polar, le saxophone alternativement ardent ou grisé, le mariage luxuriant entre les vibratos de guitares du far-west et les violons lumineux qui, à peine écoutés, m'ont convaincu qu'ils seraient dignes d'illustrer la lecture de cette enquête en pleine Cité des Anges. Cité qui, dans un jeu de miroir, avait fondu sur le travail habituellement + sombre et introspectif de Timber Timbre, le groupe de Taylor Kirk.

"Les égouts de Los Angeles" de Michael Connelly / Timber Timbre "Hot dreams"

Alphabétiquement parlant, Timber Timbre arrive juste avant Tindersticks.

Stylistiquement parlant, Timber Timbre drague les mêmes univers que Tindersticks.

Qualitativement parlant, Timber Timbre se situe un peu après Tindersticks. Faut pas déconner non plus.

 

"Hot dreams" a pour moi vraiment trouvé tout son sens en tant que musique de livre. A écouter seul, ce cinquième disque est parfois nébuleux, déphasé, presque indigeste. En accompagnant la première aventure de l'inspecteur intransigeant Harry Bosch, les cuivres botoxés aux mélodies ourlées  tout comme les déraillements de synthé horrifiques s'appliquent au récit, tels des pièces de puzzle alambiquées.

 

Michael Connelly aussi est un amateur de puzzle. Ses intrigues complexes avancent indice après indice chèrement gagné. Dans "Les égouts de Los Angeles", l'indice initial est un doigt cassé post-mortem chez un cadavre retrouvé sur les hauteurs d'Hollywood, dans un tunnel. Un détail. De ceux que les flics négligent, surtout lorsqu'il s'agit d'un énième camé à l'aiguille encore perlante. Over.

Sauf que Harry Bosch est méticuleux à l'extrême, intransigeant, opiniâtre, et qu'il ne ferme pas le dossier. D'autant que le mort est un ancien du Viêtnam qui appartenait à la même division que lui : les rats de tunnel, chargés de fouiller les galeries de l'ennemi. Une expérience traumatisante qui réveille encore Bosch la nuit, que l'alcool ne suffit pas toujours à dissoudre.

 

Sympa comme une porte de prison turque, le tumultueux inspecteur va donc mener une enquête à l'ancienne (on est dans les années 90 : pas de portable, pas de Google, des experts scientifiques à leur place, ce qui en soit a déjà quelque chose d'exotique), reniflant les pistes, recoupant les infos les + infimes, creusant là où les autres n'ont même pas pensé à gratter. Un os fracturé, l'absence louche d'empreintes, un intrigant bijou de jade volé... Chercher des liens et faire la lumière.

(Petite parenthèse de syntaxe interactive à l'allitération douteuse. Si vous préférez comme transition "Bosch bêche", tapez 1. Pour "Bosch bosse", tapez 2. Si vous préférez "Bosch bûche", tapez 3. Enfin, pour l'archi-combo "Bosch bêche, bosse et bûche", tapez 4.)

 

Bref, la structure de l'enquête se construit sous nos yeux. Voilà du polar classique dans le sens le + noble du terme. L'écriture est sans fioritures et d'une redoutable efficacité, à l'image du héros. Avec son décor californien et ses bas-fonds glauques, on rejoint Ellroy, et l'indépendance du cabot Harry Bosch le rapproche des détectives privés glorifiés par Raymond Chandler ou Ross McDonald.

 

On pense inévitablement à Dirty Harry en suivant ce personnage froid, en constant conflit avec ses hiérarchies. Connelly doit forcément avoir eu Clint Eastwood à l'esprit en écrivant sa saga, même si sa description d'un séduisant quarantenaire châtain bouclé renvoie plutôt à Matthew McConaughey. Ces deux acteurs ont d'ailleurs joué dans des adaptations de romans de Connelly (respectivement "Créance de sang" et "La défense Lincoln"). Nonobstant, les livres viennent d'être transcrits en série et c'est l'acteur Titus Welliver qui a décroché le rôle du flic ambigu.

"Les égouts de Los Angeles" de Michael Connelly / Timber Timbre "Hot dreams""Les égouts de Los Angeles" de Michael Connelly / Timber Timbre "Hot dreams"
"Les égouts de Los Angeles" de Michael Connelly / Timber Timbre "Hot dreams"

L'autre caractéristique de Bosch est d'être un passionné de jazz. Alors oui, il aurait été logique de choisir, au hasard, Sonny Rollins en background sonore. Timber Timbre n'en est pas moins légitime, d'abord parce que la langueur du saxo s'invite dans "Hot dreams", ensuite parce qu'une dimension cinématographique illumine la pop pastorale de Taylor Kirk.

Ainsi "Run from me" ou "Hot dreams" apportent la lascivité nostalgique des nuits solitaires de Harry Bosch. Romantique comme un Elvis Presley qui n'aurait pas inventé le rock'n'roll mais s'attellerait plutôt à l'enterrer.

 

Les démons du passé de notre héros, ses violines nausées militaires trouvent un noir écho dans les percussions finales de "Beat the drum slowly" qui mettent cette ballade spectrale inaugurale au pas. L'hommage fait, volontaire ou non, à "A reflection" de The Cure avec "The three sisters" (également le titre d'une rareté de Cure, quand j'y pense...) souffle des ténèbres grinçantes enfin lâchées sur le dernier titre, alors qu'elles rôdent tout au long du disque dans les synthés hantés, dans les somptueux choeurs climatiques, dans les arpèges d'un western crépusculaire. Parfait pour notre cowboy âpre rempli de colère, capable de défroquer ses collègues lorsqu'il s'énerve un peu.

Lynchienne et raffinée à la fois, la musique de Timber Timbre empreinte Mullholland drive pour rejoindre un vieux cimetière, longe les lettres HOLLYWOOD pour voir poindre le jour au-dessus de la ville.

 

Deux titres instrumentaux ont fait office de thèmes récurrents dans ma lecture : "Resurrection drive part II", et surtout la gifle "Curtains?!" (je vois des liens partout aujourd'hui, mais ce titre, comment ne pas penser une fois de + à Tindersticks ?), véritable B.O. de polar groovy. Viril comme l'inspecteur Bosch, tendu comme ses mâchoires, claquant comme ses dialogues, rythmé comme sa conduite ; s'il ne fallait garder qu'un titre pour représenter ce personnage, ce serait celui-ci et aucun autre. N'en déplaise à Coltrane.

 

En + le clip semble illustrer toute ma chronique... Merci les gars !

Lorsque j'entends ce titre et quelques autres de "Hot dreams", je suis irrémédiablement projeté dans les rues de Connelly, en planque avec Bosch. Aujourd'hui je me suis procuré les trois aventures suivantes du dur à cuire. Je continuerai d'écouter cet album exigeant en les lisant, ferai défiler mes propres pellicules saturées d'images et de sons, navigant entre les ombres les + opaques et les lumières brûlantes de Laurel Canyon.

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27 novembre 2014 4 27 /11 /novembre /2014 23:52
"Jazz Maynard" de Roger et Raule / Ilhan Ersahin "Istanbul sessions"

Note de concordance : 9/10

 

Les uns sont à Istanbul, les autres à Barcelone, pourtant on est dans la même ville ; une ville mentale faite de ruelles, de portes arrières de clubs, faite de nuit. Et puis New-York n'est jamais loin puisqu'Ilhan Ersahin y a posé son étui à saxo, quant à Jazz Maynard, ses aventures ont failli se dérouler à Marseille. Quoi qu'il en soit, c'est une plongée dans les bas-fonds urbains que je vous propose, ces trottoirs aux flaques jaunes d'où seules les notes de jazz peuvent espérer s'élever.

 

Mais attention, rien de glauque pour autant, juste une imagerie un peu voyou, alpacinographique, car "Istanbul sessions" est aussi empreint de joie, d'effervescence, et la BD de Roger et Raule est pleine d'humour.

 

Dès la première page de "Jazz Maynard", le cocktail punchy/jazzy/fun donne le tournis. Les angles sont taillés au sabre, les diagonales lacèrent les cases, les perspectives crèvent les pages ; on est très proche des comics américains, et même le manga laisse quelques hématomes. Pourtant les splendides bichromies et la rondeur des dessins ancrent la BD dans la tradition franco-belge. L'équilibre est jouissif. 

 

 

"Jazz Maynard" de Roger et Raule / Ilhan Ersahin "Istanbul sessions""Jazz Maynard" de Roger et Raule / Ilhan Ersahin "Istanbul sessions"

Le dessin est au service d'une histoire qui ne choisit pas entre atmosphère et action. On l'apprend très vite, Jazz, le bel espagnol qui revient dans son quartier après des années d'exil à New York, n'est pas un simple trompettiste. C'est un jazzman cambrioleur. Un ténébreux aventurier qui zone entre la rue Adrien Brody et la place Corto Maltese, là où les fréquentations ne sont pas souvent bonnes, où le passé s'accroche comme le tabac froid sur les gueules de bois.

A peine posé le pied au quartier d'El Raval, Jazz retrouve son vieil acolyte Téo et les embrouilles vendues avec. Chantage, mandales, guerre des gangs, uppercuts, cambriolages rocambolesques, manchettes, traite des blanches, coups de pieds, et même guerriers ninjas... Tout en conservant l'ambiance enfumée des clubs, les bastons s'enchaînent façon solo de saxo. Les traits craquent comme un vieux vinyle de Coltrane. C'est beau, c'est intense, c'est violent, c'est too much et ça secoue.

 

Gros défi pour les stambouliotes ! La Bande Originale de Livre qui ne se laisserait pas distancer par les courses effrénées de Maynard devait avoir du souffle, sans jamais rechigner sur le style. "Istanbul sessions" a dépassé mes espérances.

 

 

"Jazz Maynard" de Roger et Raule / Ilhan Ersahin "Istanbul sessions"

Fights de percus, battles de cuivres, guitares basses cahin-K.O., la fusion se fait dans l'élégance d'un ring. Néanmoins c'est bien d'une idylle qu'il s'agit, une rencontre évidente entre le groupe d'Ilhan Ersahin et Erik Truffaz, convive de prestige qui transcende "Istanbul sessions". Sa trompette trempée dans le même cuivre que son illustre idole (initiales M.D.), il offre une toile de fond idéale aux autres instruments, comme si l'invité dépliait lui-même le tapis rouge pour ses hôtes en plein tumulte.

 

Ersahin, fondateur du club new-yorkais devenu label "Nublu", brasse les genres, drum'n'bass, groove, rock, world, et évidemment jazz. Sa musique, sa formation, sa vie, ses villes, ont toutes un ADN cosmopolite. L'effervescence de ce disque magistral en témoigne.

 

Tout commence par une basse féline qui grimpe aux murs de cuivres et court sur des toits de darbukas. Le morceau s'appelle "Freedom" et en effet, rien ne l'arrête... La rivalité productive entre Turgut Alp Bekoglu et Izzet Kizil, le batteur turc et le percussionniste kurde, se poursuit sur les morceaux suivants, nous éclaboussant de l'énergie des grandes villes nocturnes, sans se départir d'une certaine décontraction - parfait costard pour notre personnage de bande dessinée.

 

La trompette de Truffaz ne sort elle aussi qu'autour de minuit. Il n'en jaillit pas des notes, mais de la nuit. Elle prend la couleur des ombres et suit Ersahin quand son sax part en fouille sonore.

Au coin des impasses, la musique cherche de nouvelles voies et dérape au même rythme que l'intrigue de "Jazz Maynard", fait le grand saut avec l'énergie, la fougue et la classe de ce bad boy ibérique à la note bleue.

 

Quand le son et l'image transpirent ensemble, tremblent face aux mêmes ténèbres, s'embrasent de concert et que la sensation de lire un film ou de voir la musique se côtoient, alors on sait qu'on tient une merveille de rencontre. C'est beau une B.O.L. la nuit...

"Jazz Maynard" de Roger et Raule / Ilhan Ersahin "Istanbul sessions""Jazz Maynard" de Roger et Raule / Ilhan Ersahin "Istanbul sessions"
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23 octobre 2014 4 23 /10 /octobre /2014 22:39
"Constellation" d'Adrien Bosc / Miossec "Ici-bas, ici même"

Note de concordance : 7/10

 

J'aurais aimé trouver de belles coïncidences, prouver qu'entre le nouveau Miossec et le livre d'Adrien Bosc il y avait une date symbolique, un lieu ou un nom en commun. Montrer que le hasard poursuivait "Constellation" jusque dans des méandres inattendus. Les talents du journaliste me font peut-être défaut, mais de tout évidence, il n'y a rien.

 

Cela ne m'empêchera pas de trouver bien des rapprochements qui me semblent cohérents entre ce premier roman, et ce disque qui n'a jamais lâché mes oreilles pendant la lecture.

 

Adrien Bosc est le cofondateur du magazine Desports  qui a pour ambition d'aborder le sport par l'axe historique ou littéraire. Déjà, ce plaisir à chercher des portes d'entrées inédites pour parler de sujets qu'on croit galvaudés (parler de la guerre en Yougoslavie via les infrastructures des JO de 1984 !)...

 

Avec "Constellation", Bosc se passionne pour le crash de l'avion du même nom, le 27 octobre 1949, avec entre autres à son bord la star de l'uppercut Marcel Cerdan. Suite à un concours de circonstances, l'écrivain s'est intéressé à ce drame et a justement choisi d'évoquer les hasards, les trajectoires qui ont mené ou détourné des gens de ce vol fatal.

"Constellation" d'Adrien Bosc / Miossec "Ici-bas, ici même"

Bosc déploie ses outils de journaliste et dissèque les destins des passagers, des + célèbres aux + anonymes, retrace les dernières heures, pensées ou objectifs de chaque voyageur avec le même sens du détail, ainsi que les fouilles qui suivirent. Cette débauche de récits factuels et de points techniques, certes intéressante et contée par une plume maîtrisée, fait se poser la question du terme "roman" - car même si Adrien Bosc lie le tout par une poésie des coïncidences et autres conjonctures, on a plutôt affaire à une enquête aboutissant à une galerie de portraits quasi exhaustive. Il englobe, embrasse l'événement, ronge son os sans en laisser une miette.

"Constellation" d'Adrien Bosc / Miossec "Ici-bas, ici même"

Jusqu'à l'os, c'est là qu'est allé Miossec avec "Ici-bas, ici même", entraîné par la carnassière avidité d'Albin de la Simone (sous son étiquette de producteur) à décharner les morceaux pour n'en garder que l'essentiel, que le meilleur. Le seul défaut de ce neuvième disque est qu'il intervient dans une discographie déjà bien fournie et que sa perfection peut sembler déflorée par les albums précédents, nous privant ainsi d'une claque totale. Non pas que les deux ou trois derniers disques furent médiocres, loin de là, mais ils ont proposé des amuse-gueules mélodiques donnant aux nouvelles compositions un goût de déjà entendu. Comme une bande annonce qui aurait trop montré du chef d'oeuvre. Bref, vous l'aurez compris, je chipote.

 

Album crépusculaire s'il en est, "Ici-bas, ici même" écorche une fois de + les sentiments, décrit les relations décapées, les amours en copeaux, et surtout ouvre une fenêtre grinçante à la mort. Serein et lucide, le disque a des allures de bilan de fin de vie, de testament. Avec pourtant cette lueur mordorée d'espérance qu'il reste toujours une dernière chose à faire ou à laisser, une éternité à aspirer.

 

"Constellation" d'Adrien Bosc / Miossec "Ici-bas, ici même"
"Constellation" d'Adrien Bosc / Miossec "Ici-bas, ici même"

La voix du breton est + calme et chargée d'histoire(s) que jamais, la mélancolie enfle les accordéons et s'extirpe des violons discrets, et donc oui, le déclin ou la mort rampent mais dans une acceptation de la fatalité.

 

Une place de choix est faite aux silences. C'est un des grands sujets du disque : le manque, le Paradis perdu, l'idyllique ventre maternel. Un amour de la vie bat dans chaque chanson, seulement on ressent comme un appétit nostalgique pour l'existence, mais plus de fringale, comme si la tête voulait encore vivre et que le coeur ne cognait plus vraiment. Rattrapé par la pesanteur. Ici-bas.

Cette tension de sentiments d'une grande noblesse est parfaitement mise en musique. Les arrangements sans maquillage donnent du relief à la moindre note, toujours à la bonne place. L'intimité est induite par les silences, des percussions sur la pointe des pieds, les bruits de pédales du piano. Du grand art...

 

Des images d'un noir et blanc aux contrastes puissants jaillissent des morceaux, comme dans "Samedi soir au Vauban", tango qui sent la gazoline. D'un bal des années 50 on se retrouve ensuite projeté par une contrebasse au fond d'un bar bleu gitane. Ces vignettes noir et blanc sont probablement ce qui m'a intuitivement fait approcher ce disque de "Constellation", dont les pages projettent les images d'archives dans un bruit de vieille bobine.

 

Bien d'autres liens allaient se nouer. Lorsqu'on écoute les paroles de "Nos morts" ou "Des touristes", on croit les textes concis et judicieux de Miossec signés pour ce drame. Quant aux choeurs féminins qui embrasent ces chansons, ils attrapent les tripes. Au même titre que certains chapitres de Bosc ? Justement pas tout à fait...

 

La vision clinique de l'écrivain a filtré l'émotion. On s'apitoie  sur cette jeune ouvrière bobineuse promise à un avenir d'or et de nylon, on plante nos sourcils sur le pieux de la surprise en apprenant que le merchandiser de Walt Disney se trouvait dans l'avion, et bien sûr on se passionne pour l'imbroglio autour des violons de Ginette Neveu, autre vedette disparue dans ce crash... En 1949, seule la classe sociale aisée pouvait emprunter l'aéronautique, ce qui explique cette collision de personnages riches en parcours professionnels. Adrien Bosc, sûrement par une respectable pudeur, ne fait jamais dans le mélo.

 

Alors que la sobriété terrienne de Christophe Miossec décave une chapelle organique bouleversante, il manque un peu de souffle au texte de Bosc. Il se raccroche pourtant à son amour des mots de Blaise Cendrars dans un chapitre final censé faire se rejoindre toutes les étoiles de sa constellation intime, et même s'il parvient à la même conclusion que la chanson "On vient à peine de commencer", c'est-à-dire qu'on peut toujours compter sur la poésie, une dose de levure fait défaut aux récits du jeune auteur.

Bien heureusement, les chansons sublimes de Miossec donnent une profondeur vibrante à ces destins dilapidés sur les Açores.

 

D'ailleurs au final, je me rends compte que la coïncidence entre ces deux oeuvres, c'est cette B.O.L., c'est cet article, c'est moi.

NB : Adrien Bosc vient de se voir attribuer le Grand Prix du roman de l'Académie française. Roman ??... Allez, bravo à lui !

Et au passage, souhaitons une flopée de Victoires de la Musique à Miossec.

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16 septembre 2014 2 16 /09 /septembre /2014 09:39
"Nager sans se mouiller de Carlos Salem" / Antonio Carlos Jobim "Stone Flower"

Note de concordance : 7,5/10

 

Le livre : tout commence dans un ascenseur. Un tueur à gage monte les étages, descend un homme.

Le disque : tout commence comme de la musique d'ascenseur. Un pianiste descend ses gammes, monte en puissance.

 

Et puis c'est le changement de décor. Prenez un drink, installez-vous. En bord de mer si possible, sur le sable. Car c'est là que Carlos Salem vous amène et que Tom Jobim vous accueille. N'oubliez pas les glaçons et, "Nager sans se mouiller" dans une main, un cocktail dans l'autre, "Stone flower" dans les oreilles (comme j'écris cet article !), laissez-vous aller.

 

Se laisser aller, décrocher, c'est précisément ce que Juanito Pérez Pérez aimerait. Allez, au moins le temps de longues vacances. Car Juanito gagne sa vie en en prenant. Des vies. Beaucoup ; et il a besoin d'une pause. Derrière le masque fréquentable il est Numéro Trois, tueur efficace et loyal dans une opaque organisation criminelle sans visages.

 

Donc ce quadra divorcé s'est programmé un mois de répit pour emmener ses enfants à la mer. Seulement voilà, une mission de dernière minute lui tombe dessus, vue la proximité géographique de l'opération. Oh, un meurtrounet, juste une dernière petite élimination avant le repos, juste une. Sauf que Juanito ne sait pas qui il va devoir tuer, qu'il se retrouve dans le même camping que son ex-femme, et surtout, que c'est un camp nudiste ! Pas facile de cacher un flingue quand on est à poil.

 

Face à l'humour et aux percées poétiques de Salem, il faut bien toute la décontraction de Tom Jobim, ses volutes brésiliennes, ses notes égrainées aux vents de plages. Tout dans "Stone flower" n'est que subtilité, une source bossa, un bain easy-listening qui laisse une impression de total lâcher-prise ; c'est une promenade dandyesque le long de Copacabana.

 

"Nager sans se mouiller de Carlos Salem" / Antonio Carlos Jobim "Stone Flower"

La bossa-nova de Jobim a la couleur du tequila sunrise, avec des nuances crépusculaires, des guitares rythmiques en contre-jour, les derniers rayons du soleil en guise de clavier et des cuivres qui chahutent comme des glaçons dans un verre. Tout est en suspension et s'harmonise par miracle... Gracile musique de chambre - une chambre ouverte avec terrasse sur le Corcovado. Et si le piano électrique, groggy, peut avoir pris un coup de vieux, des maracas ou une flûte futile, fût-elle flottante, viennent l'escorter pour mieux traverser les époques.

 

Et au-delà de ces percus relax pointe une lueur de mélancolie, voire sur quelques segments, de mystère. Ces brefs passages + tendus comme l'intro de "Sabia" font merveille à la lecture des pages de suspense du roman.

Pas étonnant que tout cela fonctionne : certains titres de "Stone flower" étaient initialement destinés à devenir la musique d'un film, "The Adventurers". Il y a de la B.O. dans l'air !

 

Et quand le chant rare et mal assuré d'Antonio Carlo Jobim s'élève, il semble singer la voix de ce pauvre Pérez Pérez qui se dépatouille mal de cette intrigue et enquille trop de verres pour essayer de diluer l'embrouille.

 

Qu'il est bon et amoral de voir ce tueur attachant ramer, psychoter en réalisant que c'est peut-être son ex-femme qu'il va devoir abattre, en se demandant si son ami d'enfance se trouve dans ce camping par hasard, ainsi qu'un juge et un flic tenaces, en s'inquiétant de savoir si, tout nus qu'ils soient, les gens qui l'entourent ne se cacheraient pas derrière les apparences de la même organisation que lui pour l'éliminer, expliquant ce trop-plein de coïncidences. Surtout, surtout, il panique à l'idée que son anatomie ne trahisse son enthousiasme à mater Yolanda, la jolie animatrice.

 

Salem s'amuse avec les codes du polar (ou plutôt les a laissé crever dans l'ascenseur du début pour mieux s'en dévêtir) et joue avec les rebondissements qui donnent le tournis, entre pâtés de sable et des tas de cibles, dans un rapport nudité/fausse identité peu crédible mais trop jouissif pour qu'on s'en plaigne. Le réalisme n'intéresse pas Salem, son iconoclasme a bien assez d'épaisseur !

 

 

"Nager sans se mouiller de Carlos Salem" / Antonio Carlos Jobim "Stone Flower"

Comme Jobim, l'écrivain espagnol ne semble jamais se prendre au sérieux et suis le fil fantaisiste de la décontraction, jusqu'à faire intervenir l'auteur italien Andréa Camilleri dans son propre rôle (effet qu'il réitérera avec Paco Ignacio Taïbo dans "Je reste roi d'Espagne").

 

Les vagues d'humour n'effacent pas pour autant les réflexions philosophiques (sur la prise de risque, le poids du père, l'honnêteté, la morale, les relations familiales) et déposent même sur le texte une poésie décalée, comme une éphémère offrande d'écume. Une écume mousseuse, sucrée par la musique intemporelle de Tom Jobim qui habille d'un élégant rien le destin incertain du tueur repenti.

Une nouvelle belle union de B.O.L. à laquelle il ne me reste plus qu'à porter un toast... Salud !

 

 

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8 août 2014 5 08 /08 /août /2014 16:39
"Dimanches d'août" de Patrick Modiano / Etienne Daho "Les chansons de l'innocence retrouvée"

Note de concordance : 8/10

 

C'est comme un parfum en commun, quelque chose de léger mais prégnant ; c'est la trace de l'invisible. Un lien discret mais entêtant unit le dernier album d'Etienne Daho et "Dimanches d'août" de Modiano.

"La notte la notte", chantait Daho en 1984... Pour ma part ce sont les notes qui vont m'intéresser, la pyramide olfactive de ce parfum latent.

 

 

D'abord, LA NOTE DE TÊTE...

 

Premières effluves, première évidence : Modiano et Daho fréquentent le même tailleur, habillant leur travail d'une semblable élégance. Peut-être une adresse sur la Promenade des Anglais. Oui, l'élégance, c'est la fragrance volatile que partagent les deux artistes. Une classe naturelle déclinée dans leur oeuvre, dans leur comportement, dans leur rapport à l'image.

 

"Dimanches d'août" de Patrick Modiano / Etienne Daho "Les chansons de l'innocence retrouvée""Dimanches d'août" de Patrick Modiano / Etienne Daho "Les chansons de l'innocence retrouvée"

Dire des choses profondes sans jamais trop appuyer, en gardant toujours une touche impressionniste de mystère, voilà ce qu'ils savent si bien faire.

 

Etienne Daho souhaitait initialement signer son album disco. N'en restent finalement qu'un majestueux déploiement de cordes et la guitare funky toujours très chic de Nile Rodgers. Car si le genre disco peut s'avérer attachant, il peut vite basculer dans la vulgarité. Daho en a gardé une essence qui lustre ses "Chansons de l'innocence retrouvée" de la + belle des manières. Son chef d'oeuvre, sans conteste. Sa Riviera.

Des violons dévoués portent l'album, ils amènent "Les torrents défendus" dans des contrées cinématographiques, sublimant ce qui aurait pu n'être qu'une sympathique pop-song. Puis ils couvrent de nuit "Le malentendu". Une nuit d'étoiles mortes. Les cordes se font aussi inquiétantes et profondes lorsqu'elles éclairent "Un nouveau printemps", s'entremêlant dans un baiser insatiable aux autres instruments.

 

Cet aspect intriguant des arrangements classieux embaume le récit de Modiano. Raconté subtilement, comme un chapelet de souvenirs, "Dimanches d'août" fouille la mémoire de Jean, un homme seul qui déambule dans les rues de Nice. Raconté par bribes discontinues, on se demande vite pourquoi le narrateur est seul, lui qui convolait avec la belle Sylvia. Fugitifs oisifs, les deux amoureux se frottaient au frisson de l'aventure, avec en poche La Croix du Sud, un diamant exceptionnel ayant l'éclat du "Baiser du destin"... L'auteur distille savamment les réponses et les zones d'ombres. Le clair-obscur selon Modiano.

 

 

LA NOTE DE COEUR

 

La signature du parfum, son thème principal ; attachons-nous justement aux thèmes abordés dans ces deux oeuvres.

Etienne Daho a souhaité faire un disque sur les exclus. Ceux que l'amour a piégé, ceux que l'exil a repoussé sur les côtés, ceux qui émergent en marge. Dès le morceau d'ouverture "Le baiser du destin", l'humeur dramatique évoque la malchance, les vaines nervures du destin, tandis que "Un nouveau printemps" magnifie les losers. "L'étrangère", capiteux duo avec Debbie Harris (Blondie) parvient à parler avec romantisme et panache de la clandestinité, là où mille autres paroliers larmoieraient.

 

En voilà un beau d'exclu ! Les errances de Jean à l'état de fantôme soulignent sa nature marginale et on l'imagine, l'habit éreinté, tourner en rond - dans les rues, dans sa tête. Déjà dans la fuite à Nice avec Sylvia, Modiano les décrit comme des clandestins. Aujourd'hui embourbé dans la solitude, le narrateur cherche comme nous à savoir ce qui est arrivé à Sylvia, si elle a été victime ou complice des Neal - le couple richissime susceptible de racheter le diamant volé. Du grand Modiaho !

 

Dommage, les élans passionnés entre le photographe Jean et la jeune mariée Sylvia commençaient bien, leur rencontre au bord de la Marne profitait de l'ambiance guinguette bobo de "Un bonheur dangereux". La période d'incubation d'un virus avait pourtant commencé. Tout ne serait-il que mirage ? Où est "Le Malentendu" ? Daho et Modiano sont dans un bateau, ils se posent les mêmes questions.

 

 

LA NOTE DE FOND

 

Les molécules qui fixent les odeurs. La note qui génère le souvenir et l'attachement au parfum.

Les deux oeuvres, trempées de sud, respirent les mêmes épices de mélancolie. Si le chanteur répète volontiers que le titre de son album, inspiré par la poésie de William Blake, fait référence à un état de grâce et de quiétude, il n'en est pas moins imbibé d'un délicieux poison. Son regard est tendre mais triste.

 

Il y a une dimension littéraire dans "Les chansons de l'innocence retrouvée". On a presque affaire à de petites nouvelles musicales. Et le sommet, que dis-je l'Everest, que n'ai-je déprécié l'Anneau de Saturne du disque, c'est "L'homme qui marche".

Si l'on devine les traces de pas de "L'Etranger" de Camus, la chanson écrase de son soleil noir la trajectoire biaisée de Jean dans "Dimanches d'août". Le morceau tend une arche tourmaline entre John Barry et Alain Bashung. "Comme le héros d'un livre qui ne souffrirait plus du froid/l'homme qui marche devant moi, est-ce moi ?" chante Daho, qui pourrait décrire le niçois. La recherche de soi, l'identité trouble, c'est aussi le terreau de Modiano, ici comme ailleurs dans sa bibliographie.

 

En ne levant pas tous les mystères, en ne mettant pas les points sur les i, l'auteur laisse le lecteur combler les trous, mettre les derniers coups de pinceaux et ainsi nous glisse dans la peau de son narrateur. Un goût d'inachevé tellement humain...

 

Le souvenir, la mélancolie, mais aussi l'oisiveté reviennent beaucoup chez Modiano. L'inactivité (dimanche et août : des segments de temps liés au repos) est décrite comme un bonheur portant les germes de la lassitude et de l'ennui, comme si rien ne pouvait durer... Comme si l'innocence retrouvée était vouée à être reperdue. C'est sur cette lucidité que poussent les fleurs de la mélancolie.

"Dimanches d'août" de Patrick Modiano / Etienne Daho "Les chansons de l'innocence retrouvée""Dimanches d'août" de Patrick Modiano / Etienne Daho "Les chansons de l'innocence retrouvée"

Une bonne Bande Originale de Livre, comme pour un film, souligne l'action, accompagne le récit, renforce voire instaure une ambiance. Une très bonne B.O.L. tend une passerelle entre le livre et le disque, le nourrit autant qu'elle semble s'en inspirer, fait naître des images qui se répondent. Ce sont les deux faces d'un vinyl qu'on jouerait en même temps. Les histoires de Daho et de Modiano se superposent. Elles se croisent au coin d'une rue, partagent un chemin, se séparent et se retrouvent.

C'est le va-et-vient des émotions, leurs émanations...

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17 juin 2014 2 17 /06 /juin /2014 10:39
"Zulu" de Caryl Férey / Zone libre "Faites vibrer la chair"

Note de concordance : 9/10

 

Je n'allais pas faire ma mauvaise tête. Puisque Caryl Férey, rockeur dans l'âme, lançait une piste musicale à son livre, je n'allais pas me clasher avec lui - d'autant qu'un écrivain qui nomme un de ses romans "La jambe gauche de Joe Strummer" a forcément bon goût. En effet, en préambule de "Zulu" l'auteur français cite Zone libre ; une proposition de Bande Originale de Livre qu'il a l'habitude de livrer dans la plupart de ses ouvrages, à la manière d'un Maxime Chattam. Je préfère traditionnellement relever personnellement le défi de trouver le bon disque qui collera au bon livre, mais le choix de Férey me semblait trop pertinent pour le snober.

 

Même si sont mentionnés au cours du récit Radiohead et "To bring you my love" de PJ Harvey, il semble vite évident que le romancier a sué sur sa copie en écoutant les guitares grinçantes de "Faites vibrer la chair", puisant une noire inspiration des notes qui saturaient son air. Zone libre est un projet de Serge Tessot-Gay, poigne à gratter de Noir Désir qui emmène Cyril Bilbeaud et Marc Sens sur un no man's land free-rock en pleine (ef)fusion. Radical, instrumental, ce premier album du collectif - avant de visiter + tard d'autres zones où jaillit le rap - explore les terres en friche, ce qui grouille entre le chaos et le naissant.

"Zulu" de Caryl Férey / Zone libre "Faites vibrer la chair"
"Zulu" de Caryl Férey / Zone libre "Faites vibrer la chair"

Les distorsions de guitares et le refus des limites (la batterie n'encadre pas, elle ouvre des brèches ici et là), les sons qui vibrent et qui implosent génèrent les dissonances. Parfait tiraillement pour un monde sans règles, celui que décrit l'écrivain-voyageur Caryl Férey dans "Zulu" ; une Afrique du Sud rongée de l'intérieur, mal cicatrisée, bouffée par la misère, la maladie, l'injustice, la corruption, la drogue, la rancune, le crime... Extrêmement bien documenté mais jamais lourd ni ennuyeux, "Zulu" n'est pas qu'une simple enquête, c'est aussi la radiographie d'un pays meurtri, boursouflé, à vif. Juste comme Neuman, le chef de la police criminelle de Cape Town. Un Noir. Cette personnalité emblématique dont la famille a été massacrée pendant l'Apartheid a pardonné, tel un fils de Mandela, et est devenu le meilleur flic de la ville en parfait complément avec Epkeen, bras droit borderline, chien fou instinctif à la vie privée dissolue.

 

Face au meurtre atroce d'une Blanche de bonne famille qui aurait consommé une mystérieuse drogue envahissant les townships, la pression est mise sur les enquêteurs. Entre les gangs ultra-violents, les politiciens gangrénés, les bars qui puent la came, et la magie noire proférée par une danseuse ensorcelante, les héros avancent en terrain miné.

 

Non content de livrer une enquête alambiquée et passionnante entraînée par des personnages denses (le parcours de Neuman, l'homme nouveau, est d'une puissance bouleversante) Caryl Férey profite de cette virée en enfer pour faire un constat de ce qu'est l'Afrique du Sud aujourd'hui, traumatisée par celle d'hier, au-delà des beaux symboles et des grands discours. Voir la vérité en face donne la nausée.

"Zulu" de Caryl Férey / Zone libre "Faites vibrer la chair"

La plume de Férey est encrée de colère, une écriture qu'on sent bouillir à 100° de rage. Ses mots, indignés. Devant la plaie béante Cape Town, on le serait à moins. Il y a des livres coups de poing ; celui-là est un lance-flammes, une machine à carboniser l'espoir. Les chapitres sont coupés à la machette avec un superbe sens de l'ellipse, la violence surgit autant sur la forme que sur le fond, et vous n'êtes pas prêts d'oublier le barbecue de cette plage tranquille où trois amis flics suivent une piste anodine.

 

La friction entre ce polar couvert de suie et les fulgurances bruitistes en roue libre de Teyssot-Gay génère des vibrations/implosions inquiétantes, organiques et métalliques. Alors la musique devient matière, comme un bloc solide de l'histoire, qu'on tord, qui grince, qui se plaint. Frissons d'acier. Parfois vrombit une guitare slide, pour un western aux portes de l'enfer. Puis des éléments indus dérangés viennent se frotter à l'action, à l'horreur, comme les bruits d'un monde qui en écrase un autre sans pitié : l'état de cette Afrique... Notre système.

 

Cette expérience B.O.L. est comme une bobine de film qui tremble, déraille et dont la pellicule finit par s'enflammer. Vibrations trop fortes. Le livre parle des laissés pour compte, des stigmates, des agonies qu'une guerre civile dégurgite, même des années après, du choc entre les peuples et du séisme interminable qui suit. Le disque de Zone libre s'inspire des mêmes violences du monde. Et la cohabitation grippée qui unit ce grand polar et ce disque difficile fracture les mêmes terres malsaines, le pays de l'Art noir.

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Un Livre Et Sa Musique

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